Tunisie : La francophonie est-elle has-been ?

Tunisie : La francophonie est-elle has-been ?

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Selon l’OMF, 6 639 000 de Tunisiens parlent le français ; ces statistiques remontent à 2010. Il est sans doute le moment d’avouer qu’être francophone est devenu has been et que pour la génération Z, et bientôt la génération Alpha, le français sera la langue de papi mamie. Aujourd’hui, on parle avec les pouces, les abréviations anglophones ont envahi le langage, des expressions comme WTF, AKA, ASAP, OK, WTH s’adaptent parfaitement à Messenger et autres moyens de communication sur écran. Plus le temps, plus la patience de s’étaler, courtes, concises et efficaces, les expressions keyboard sont les nouveaux piliers du langage social. 

 

Aussi, l’anglais est indispensable pour certains métiers, la maîtrise parfaite de la langue de Shakespeare est devenue vitale, il n’est plus rare de voir des annonces d’entreprises tunisiennes en anglais. En Tunisie on dit : meeting/brainstorming/job description/open space… sans parler des regards suspicieux qui vous tombent dessus quand vous avouez regarder des séries et des films en VF et non en version originale sous-titrée, vous savez ce qu'on vous dit ? rappelez-vous de ce moment où vous avez entendu la cloche de « shame » sonner - inside joke GOT-

 

Ne pas maîtriser l’anglais signifie avoir toutes les news en retard, avoir accès à une petite partie du contenu sur internet, être à la merci des traductions. Par exemple, le livre de Gayatri Spivak sorti en 1985 « Subaltern Studies : Deconstructing Historiography » n’a été traduit en français qu’en 2006 !  

 

Le français a en Tunisie le statut de « langue vivante étrangère à statut privilégié », étudié dès la troisième année primaire, on le retrouve aussi dans les banques, les administrations, le secteur médical, les enseignes, les menus, partout. Dans les faits, seuls 5 % de la population tunisienne maîtrise parfaitement le français, ce qui est totalement contradictoire avec les statistiques de l’OMF. Ce refus du bilinguisme est loin de l’idée que se faisait Bourguiba du Français : « une arme pour sortir du sous-développement et une langue qui permet d’épouser la modernité »

 

Mais au-delà de son statut officiel, officieusement, « être francophone » renvoie à certaines idées reçues, l’adapter ou le rejeter indique une position politique. La francophonie en Tunisie, c’est comme le « ce qui reste » aux aristocrates fauchés. L’élite intellectuelle francophone s’est retrouvée mise à l’écart, elle se parle et s’écoute elle-même et n’est pas arrivée à combler le trou noir linguistique qui la sépare du reste de la population. Alors que la langue de Molière a réellement permis un boom intellectuel dans le passé, en 2017 elle cloisonne les élites.

 

La francophonie est souvent héritée ou acquise dans un groupe social. Le langage est dans le package de l’habitus de Bourdieu. Cela explique qu’on retrouve le français dans des milieux sociaux particuliers et non dans d’autres, des milieux que certaines franges de la société qualifient de : « orphelins de la France ». Pourtant cette francophonie a permis un dialogue d’égal à égal avec le nord et l’éclatement du centre :  "Aujourd’hui, l’Afrique, l’Asie et l’Amérique du Sud se distinguent dans le paysage de la philosophie, de la poésie et de la littérature et instaurent ainsi un dialogue d’égal à égal avec le Nord. La preuve en est, les derniers prix Goncourt, celui décerné à Leila Slimani, Marocaine pour son livre « Chanson douce », et le prix Goncourt lycéen décerné à Gaël Faye, franco-burundais, pour son livre « Petit pays ». Deux talents qui viennent de la périphérie, et non du centre franco-francophone. " 

 

Pierre Bourdieu qui a écrit « Ce que parler veut dire », essai sur la fonction sociale du langage et ses possibilités de violences symboliques : 

 

 

En conclusion, le français est-il has-been ? Joker. Il n’arrive pas à tenir le rythme de l’anglais qui est partout dans la pop culture : séries, musiques, et icônes. Ce n’est pas parce que l’anglais est partout qu’il doit devenir tout, la Tunisie a toujours été un carrefour linguistique intéressant, on retrouve dans le dialecte tunisien de l’italien, de l’amazigh, du français, du truque, sans oublier le travail que font l’institut français, le goethe Institut et d’autres, pour encourager l’apprentissage de leurs langues respectives en Tunisie. Il n’y a en réalité qu’une seule réponse : regarder une série en VF c’est vraiment has-been.