Stade Chedly Zouiten, Stade d’El Menzah : Chefs-d’œuvre en péril

Stade Chedly Zouiten, Stade d’El Menzah : Chefs-d’œuvre en péril

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En termes d’urbanisme, une construction, un bâti, est appelé un ‘signal’. Chez nous, les cafés peuvent remplir ce rôle à merveille, et dans un pays où les noms de rues oscillent entre ‘numéro 7842’ et ‘route X20’ (… vous connaissez son nom officiel ?), et où les noms des artères changent au gré des régimes, il est bon de pouvoir se repérer selon ces signaux. Passé le café de Oueld Flen, tourner avec la mosquée des Koweïtiens, continuer jusqu’au centre commercial et c’est en face du kiosque. Plus précis qu’un GPS militaire chinois. À ce titre, les stades sont des signaux, et même si leur étendue les rend impropres à la précision géolocalisationnelle, ils font partie du paysage urbain. Et pourtant, dans ce pays qui galvaude sa mémoire, on cherche à les faire disparaître comme un vulgaire bâtiment art-déco du centre-ville. 

 

Il existe à Bruxelles un stade, celui de l’Union, dont la façade, œuvre d’art nouveau des années 1920, est classée architecturalement, ce qui rend impossible sa démolition. Le nouveau Parc des Princes, inauguré à Paris en 1972, est -comme l’hôtel du Lac à Tunis- un exemple d’architecture brutaliste. Et nous, qui avons à Tunis la chance d’avoir un exemple de ce qui se faisait au début du XXesiècle (l’actuel stade Chedly Zouiten), un stade construit ‘en vallon’ pour ne pas trop devoir se fatiguer à dresser des gradins, et un autre conçu par le Grand Prix de Rome (on y fit d’ailleurs jouer la Lazio peu après son édification), Olivier-Clément Cacoub, avec celui d’El Menzah, nous les regardons dépérir à l’avide satisfaction des promoteurs immobiliers. 

 

Fleur de ma ville

 

Il ne faut pas s’y tromper : le stade Zouiten (auparavant Géo André. Auparavant Municipal. Auparavant du Belvédère. CQFD, quant à l’intérêt de connaître le nom du café jouxtant l’endroit…) est un monument historique. C’est là que la Tunisie indépendante a accueilli ses premières manifestations officielles, c’est là que Ahmed Ben Bella vint assister au premier déplacement de l’équipe d’Algérie, c’est là que les premières retransmissions radiodiffusées eurent lieu. Quant à El Menzah (autoproclamé stade Olympique, éphémèrement ‘Cité sportive Habib Bourguiba’, après avoir été Smadja-Borg et Vélo-Stade puis Young Perez), c’est un monument de l’histoire sportive, et un patrimoine architectural. Après, comme pour les hôtels du Lac ou Africa, comme pour la nouvelle cité de la culture ou l’ancienne maison du Parti, on aime ou on n’aime pas. Mais (à part à Bari, et encore sur un demi-étage seulement), nulle part ailleurs n’existe un stade qui est comparable à une orange que l’on aurait découpée -ou plus poétiquement, à une fleur de béton aux pétales humains lorsque les gradins seront remplis. Et encore, on ne parle même pas ici de la Coupole pour les sports de salle, gradins surélevés, forme avant-gardiste, hôte du premier championnat d’Afrique de handball. Ni non plus de la piscine du même tonneau, qui ne sert plus aujourd’hui qu’aux parieurs déçus du promosport... Heureusement, il nous reste celle du Belvéd… ah non, non plus.

Un jour, nos enfants nous demanderont peut-être où est-ce que nous jouions au foot, nagions ou tout simplement faisions du sport ou du vélo dans ce tout-au-béton qu’est en train de devenir Tunis. Et notre génération sera incapable de le leur faire envisager, devant l’hôtel d’El Menzah et son centre de conférences ou les immeubles du Belvédère. Comme la nôtre a du mal à se souvenir qu’autour de Gambetta se jouaient cent parties simultanées, que la vôtre ne peut concevoir qu’en place de l’immeuble de l’ex-RCD les sports scolaires régnaient, et que plus personne ne se souvient qu’à proximité du stade olympique actuel (mais pour combien de temps encore ?) on cultivait l’olivier…