Soule Power ou une culture de la violence urbaine

Soule Power ou une culture de la violence urbaine

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Dans l’une des chroniques précédentes qui font l’admiration de nos innombrables lecteurs, nous évoquions l’équipe de football de Leeds United, précurseur avec son équipementier Admiral de la réplique de maillot destinée aux fans. Leeds, impressionnante équipe bâtie alors par le novateur manager Don Revie, visait à profiter par ce biais de son excellent parcours européen qui l’avait mené en finale, à Paris et face au Bayern de Munich. À cette occasion, la vingtième finale de Coupe d’Europe des clubs champions en mai 1975, Leeds mérita -nettement- de l’emporter. On priva les Britanniques d’un but parfaitement valable, d’un penalty que même les Bavarois reconnurent (mais seulement après-coup) tout à fait justifié, et au final, le Bayern conserva son titre ignominieusement. C’est alors que les Anglais se montrèrent de nouveau précurseurs, mais pour toute autre chose, et lancèrent sur le continent, en couleur et en mondovision, une autre mode qui allait faire son chemin : leurs supporters (on ne connaissait pas encore le terme de « hooligan ») se déchaînèrent et laissèrent leur légitime amertume d’avoir été floués dégénérer en une violence pure et incontrôlable. Ils saccagèrent le Parc des Princes, en dévastèrent les tribunes et les alentours et se battirent au corps à corps avec les forces de l’ordre locales qui, si elles n’étaient pas novices en matière de violence urbaine, n’en avaient encore jamais tâté dans une enceinte sportive. Car en France, ou de façon générale en Europe continentale, on avait rarement vu les supporters se battre. Les joueurs, oui, mais pas vraiment le public, sauf évidemment dans les colonies, mais là, c’était différent.

 

En effet les rixes autour du sport dans les anciennes colonies ne pouvaient être dues qu’aux indigènes, ces ingrats qui avaient sali la noblesse du sport en l’utilisant même pour leurs fins autonomistes (NDLR aux lecteurs incapables de second degré : c’en est. Nous sommes compatissants envers tous ceux qui ne peuvent pas reconnaître l’ironie sans smileys). Évidemment, ceci occultait le fait que, rien qu’en Tunisie, c’est dès 1907 (soit un an après l’apparition du premier club) et entre deux équipes absolument « gauloises » (joueurs, et un peu moins public) qu’avaient eu lieu les premières bagarres liées à un match de football. Mais bon, le climat, l’atmosphère, l’influence du pays… Rien de tel ne saurait arriver sur le vieux continent. Ce tragiquement mauvais pronostic de l’évolution du phénomène de violence lié au football niait deux évidences : de un, les cités ont toujours été un foyer de violence, depuis l’antiquité ; de deux, le jeu de balle qui a conquis le monde est le pas si lointain descendant d’une pratique assez bestiale, le jeu barbare et moyenâgeux qu’était la soule. Il était presque dans le sens de la nature humaine que la conjonction des deux donne le spectacle lamentable que l’on peut voir désormais continuellement dans nos arènes sportives. 

 

 

Un conte de deux cités

 

La soule, à l’origine, tient plus du rollerball (le jeu apocalyptique conçu par Hollywood vers 1975 avec James Caan comme premier rôle. Film correct, meilleur que son remake, mais c’est un avis personnel), tient plus du rollerball donc, que du football. Quoique… Dans la soule, on oppose les équipes de deux villes, il y a un capitaine d’équipe, il existe une notion de hors-jeu (lorsque l’on n’est pas en soule, on ne peut pas piétiner son adversaire, ce qui prive d’une des joies premières de l’activité), et on tente de porter un ballon jusqu’au but. Et donc on se met sur la gu… à qui mieux mieux pour réussir à l’emporter. Notez que le public ne se bat pas. Ce sont les joueurs. Forcément, il n’y a pas de public et les joueurs sont généralement constitués par l’ensemble de la population du village, donc ça revient peu ou prou au même. La proportion prise par la soule et les dérives qu’elle engendre va même pousser les rois de France puis d’Angleterre à en interdire la pratique -les Anglais en ayant déjà traduit le nom en « football ». 

 

La mauvaise réputation dudit sport va même le faire employer comme insulte par Shakespeare (dans « Le Roi Lear »), ce qui laisse rêveur… Tout comme certains spectacles dominicaux répétés laissent rêveurs de nos jours, eux aussi. Peut-être qu’il faudrait de nouveau l’interdire, puisque désormais, même quand on fait la fête entre supporters du même club, on se met sur la figure… Mais que ferions-nous le dimanche ?