La rencontre se déroule dans un café. Sur la table, un ordinateur, son appareil photo et ses indispensables cigarettes. Je vois autour de son cou un badge Anadolu Agency, il a la dégaine d’un homme de terrain. Amine Landoulsi me demande quelques minutes avant de commencer et me propose de plonger dans son portfolio. Le petit livre en cuir noir allait m’offrir des perles en noir et blanc.
Son intérêt pour la photo a commencé à l’âge de 14 ans. Il avait découvert un livre photographique dans la bibliothèque de son père, «La danse des pierres» de Jean-Claude Coutausse, photographe attitré du journal Le Monde : «J’ai feuilleté ce livre des centaines de fois. Coutausse a photographié أطفال الحجارة en Palestine avec une neutralité surprenante, un recul qui manque encore aujourd’hui aux débats sur le conflit israélo-palestinien. Ce livre m’a rapproché des Hommes.»
Le Club photo de la Maison des jeunes de Khaznadar
C’est lors du concours «Mois de la photo, deuxième édition» organisé par la municipalité de Tunis en 2000 avec pour thème imposé le théâtre, qu’il a eu sa première distinction : «À la même période, il y avait les JTC, j’ai eu le premier prix grâce à une photo que j’ai prise lors de la représentation de “Jounoun” de Fadhel Jaibi.»
On est en janvier 2011, dans sa posture de témoin et toujours avec un appareil photo, Amine Landoulsi est à la Kasbah, au sit-in. Ce 24 janvier, il allait capturer une des photos les plus marquantes du Général Ammar. «J’étais au sit-in comme témoin, il m’arrivait de faire la navette entre l’hôpital Charles Nicole et la Kasbah pour emmener des blessés. Ce jour-là, vers 16 h, un petit garçon est venu vers moi en disant : “Qu’est ce que tu fais ici?! le Général est là-haut”. J’y suis allé, je me rappelle d’une marée humaine, j’avais un 18-55mm comme objectif, je devais absolument m’approcher au maximum du Général, j’étais à 5 ou 10 mètres de lui, il était entouré par sa garde, il marchait lentement vers sa voiture. J’ai fait le tour pour arriver en face de lui, il était devant la portière de la voiture, un sit-inneur arrive et tape sur le capot du véhicule, le regard du Général se tourne vers ce dernier, alors que les autres regardent vers mon objectif, à cet instant j’ai pris la photo. C’était ma première couverture. “
Autre Photo, autre histoire; ‘Madone de Tunis’, photo prise lors des événements du 10 avril 2012 à l’Avenue Habib Bourguiba, suite à l’interdiction des manifestations du 9 avril. Sur cette photo en noir et blanc, on voit le visage d’une femme derrière les boucliers abîmés de la police. ‘Quand on prend tous les jours des photos, la technique n’est plus une barrière, on cherche la perle... le destin se charge souvent de rassembler toutes les conditions d’une bonne photo. ‘La Madone de Tunis’ fait référence à la ‘Madone de Bentalha’, une photo prise le 23 septembre 1997 par Hocine Zaourar à l’hôpital de Zmirli, je voulais ma madone à moi. Je tenais absolument à préserver les égratignures des boucliers. ‘
Qu’est qu’un bon photoreporter?
On est considéré comme professionnel à partir du moment où on est payé pour nos photos. Mais pour ce qui est d’un bon photoreporter, il faut être au courant de l’actualité, avoir des bases techniques, se faire un réseau de contacts, et être rapide! Il faut prendre les photos et les envoyer très vite c’est essentiel dans ce métier. Personnellement c’est le boxeur Mohamed Ali Clay qui m’inspire. Dans ses combats, il tourne beaucoup sur le ring, je fais la même chose en photo, je tourne pour trouver un angle de vue inexploité.
Comment avoir du recul quand on est en face d’une situation extrême?
Lors du sit-in, je me souviens d’un vif échange que j’ai eu avec des reporters de France TV, je critiquais la manière dont les médias occidentaux traitent les événements en Tunisie, et je me souviendrai toujours de la réponse de l’un d’eux : ‘Ta neutralité se résume à prendre les deux points de vue’. La photo du Général par exemple, ma volonté n’était pas d’en faire un héros, c’est le titre ‘L’homme qui a dit non’ qui lui a donné cette posture.
Après les attentats de Nice en France, de nombreux médias ont décidé de ne plus montrer les visages des terroristes considérant que la médiatisation de ces derniers était une victoire pour l’EI? Seriez-vous capable de les photographier?
Je peux photographier même Satan, sans même le juger. La propagande fasciste est tellement puissante qu’elle ne tient pas à ce genre de détails, et ne peut être détruite par ce genre d’initiatives. En photographiant des extrémistes religieux, je ne faisais que relayer leur slogan, leur message. Je veux montrer la vérité sans la maquiller, sans la détourner.
Vous avez photographié les présidents tunisiens, les chefs de gouvernements ainsi que d'autres hommes politiques, qui est le plus intéressant en photo?
Les hommes politiques ont tous le même visage, ils ont ‘le masque du pouvoir’ fabriqué par les conseillers, le protocole, et l’isolement. Lors de la passation de Essid à Youssef Chahed j’ai demandé à mon rédacteur en chef de m’envoyer au festival équestre maghrébin de Bou Hajla qui commençait le même jour, je savais pertinemment que je n’allais pas assister à un moment historique, mais à une énième manœuvre politique. Contrairement au jour où la constitution post-révolution a été adoptée, j’étais à l’ARP en tant que photographe, mais je n’ai pas pu retenir mes larmes. Ce qui m’avait marqué c’était les partis qui s’embrassaient pour la première fois, j’avais vraiment l’impression que la Tunisie était la priorité de tous ce jour-là.
On continue à parler, des bribes de pensées et de réflexions ici et là . Il me parle de son mentor et des photographes qu’il respecte. Son parrain Hamideddine Bouali, un des piliers de sa vie de photographe. Il rend hommage aussi à Mohamed El Hammi, Fethi Belaid et à ces Tunisiens qui ont excellé dans le photojournalisme.