On dit souvent d’Ingmar Bergman qu’il est le cinéaste que la Suède aime détester. Par de nombreux raccourcis, on peut penser que ce peintre des âmes torturées donne de ce très beau pays une image assez « sombre ». On se dira aussi que l’auteur des « scènes de la vie conjugale » est une passion suédoise. La passion n’étant pas un long fleuve tranquille, l’histoire littéraire et artistique du pays des Nobels compte d’autres figures qui ont imprégné l’art universel de leur touche mélancolique. Il y a le sombre Strindberg, le « brûlé » Stig Dagerman ou la ténébreuse Karin Boye.
C’est dans cette lignée que s’inscrit l’œuvre de Bergman et c’est ce qui lui vaut cette réputation d’artiste intransigeant qui scrute sans concessions les failles et les lâchetés de la condition humaine.
Il n’empêche que le centenaire de cet immense cinéaste (qui était aussi un grand farceur allant jusqu’à signer des articles où il brocardait ses propres créations !) a été fêté, célébré comme il se doit un peu partout dans le monde.
Séminaires, divers cycles, colloques et bien sûr des films étaient au menu. Le long métrage de Jane Magnusson dédié au maître vient d’être couronné du prix du meilleur documentaire à l’European Film Awards. Intitulé « Bergman, un an, une vie », ce film s’intéresse à l’an de grâce 1957, où furent lancés deux projets fondateurs de l’œuvre qui sont « Les fraises sauvages » et « Le septième sceau ».
Mais qu’en est-il de la Tunisie dans ce concert international ?
Au pays de la cinéphilie revendiquée, au pays où les festivals et autres rencontres cinématographiques poussent comme des champignons (sans qu’on comprenne d’ailleurs, et dans la plupart des cas, les spécificités identitaires et éditoriales des uns et des autres), au pays où la cinémathèque a trouvé sa vitesse de croisière, aucun hommage n’a été rendu à l’habitant solitaire de l’île de Färo !
Cela paraît d’autant plus curieux que des cinéastes, et non des moindres, et je pense là tout particulièrement à Moufida Tlatli, reconnaissent et revendiquent Bergman comme une source d’inspiration.
Pourquoi cet « oubli » ?
Les guerres, pathétiques et parfois sordides, qui polluent le milieu du cinéma où certains apprentis sorciers prennent leur discours envieux et haineux pour une conscience prétendument révolutionnaire, les infinies palabres sur le fric, le niveau lamentable de certains intervenants, le corporatisme exclusif et les ego surdimensionnés, ont fini par dérober l’essentiel.
En 2018, une part de l’essentiel consistait à rendre hommage à Ingmar. Faute de cela, méditons cette belle pensée cueillie dans son « Lanterna Magica » : « La vie a exactement la valeur qu’on lui donne ».