« La question du patrimoine est indéniablement partout à la mode. Elle est maintenant placée au cœur des débats identitaires nationaux, ethniques ou civilisationnels, elle participe aux prises de position politiques par le biais de la recherche d’identités locales ou nationales, s’impose dans des choix économiques et justifie des campagnes de promotion touristique. En deux mots, le patrimoine est devenu incontournable ; il participe même à la construction du post-modernisme. » Écrit Michael F. Davie* dans son essai Patrimoine construit et méthodes de sauvegarde.
La question de la réhabilitation du patrimoine, victime de conflits de valeurs, d’intérêts, depuis un quart de siècle, fut au centre de la conférence régionale l’UNESCO.
Le patrimoine s’est retrouvé dévasté par les mouvements de révoltes sociales, les remous sociopolitiques et les guerres qui ont engendré un climat propice à la destruction du capital historique des régions concernées. Ceci est accentué par l’absence de réactivité des gouvernements arabes concernés.
Si les sites archéologiques ont la capacité de « survivre » dans temps, quelques minutes, parfois quelques secondes sont suffisantes pour détruire ces témoignages inestimables de l’histoire. Plusieurs initiatives ont été prises par l’UNESCO pour garantir la préservation des sites historiques et l’arrêt du trafic des pièces archéologiques, mais ces efforts n’ont pas été suffisants et n’ont pas réussi à éviter les dégâts causés par les guerres et les mouvements révolutions dans les pays arabes et tout ce qui les a accompagnés comme…...
Le bilan des pertes au niveau du patrimoine matériel dans les régions arabes est énorme : monuments, manuscrits, pièces archéologiques, statues et sites archéologiques. L’hémorragie des trafics de pierres et d’écrits ne cesse d’augmenter, facilitée par les crises et les conflits politiques qui secouent ces régions. Cinq expériences ont été présentées lors du congrès organisé par l’UNESCO : l’expérience allemande, celle du Liban, de la Tunisie, de l’Égypte et du Maroc.
Si le contexte historique est complètement différent entre ces pays, les points de croisement ne manquent pas. Le cas de Berlin après 1945 reste une des expériences les plus réussies dans la reconstruction d’une ville et de ses Hommes détruits par la guerre. Berlin a connu le passage d’un régime fasciste à une ville complètement mutilée, pour aboutir en fin de compte à la capitale qu’on connaît aujourd’hui, ce qui reste une énorme prouesse unique en son genre.
L’architecture monumentale des Nazis, « les pauvres dans les palais » dans l’architecture de l’Allemagne de l’Est et les bâtiments jazzy de l’Allemagne de l’Ouest, incarnent des modes idéologiques stylistiquement opposés, qui font la richesse de cette capitale.
Ceci dit, le processus de valorisation du patrimoine berlinois a connu plusieurs obstacles. Comment a-t-on réussi à convaincre les gens de la nécessité de préserver les bouts du Mur de Berlin ? Tout simplement grâce à l’Art qui a su changer la sémantique des bâtiments et leur passé chargé de négativité.
Le patrimoine face à l’iconoclasme
Les adeptes de l’iconoclasme laissent derrière eux un cataclysme humanitaire et patrimonial. Le Liban, l’Égypte, l’Irak, la Syrie et même la Tunisie ont en fait la douloureuse expérience. Détruire l’autre passe par détruire ce qui le représente, ce qui lui tient à cœur. L’Iconoclasme est le mot qui fut prononcé par Assaad Seif, archéologue et directeur général des antiquités à Beyrouth « Si Beyrouth fut reconstruite après la guerre, elle a perdu son âme » affirme-t-il « Plusieurs visions de l’héritage se confrontent, et les questions qui se posent sont : que faut-il préserver ? Que faut-il détruire ? »
C’est d’un Beyrouth détruit par la guerre entre 1975 et 1990 qu’il a été sujet, plusieurs initiatives ont été prises par les acteurs de la région. D’abord, la réintégration de pièces archéologiques dans des constructions modernes, comme en témoigne la construction de Saifi Crown. L’idée est d’intégrer le passé dans le futur, reconstruire les liens effrités entre les individus et leur patrimoine en stimulant leurs sens. Il ne s’agit plus de présenter les pièces archéologiques dans un cube en verre, mais de laisser les visiteurs les toucher, les sentir et les admirer de près.
Face à l’inexorable obsolescence du présent, l’individu a toujours cherché à conserver son monde, pour pouvoir y retourner ou le reproduire. L’engouement que nous avons pour les musées, sites archéologiques, ou même les brocantes vient du fait qu’il y a quelque chose de rassurant dans la poussière. Le patrimoine construit l’identité collective, et par conséquent l’identité d’un seul individu.
Appartenir à un groupe, défendre une identité, la symboliser, la personnifier et l’ériger est un besoin universel, d’où l’existence de témoignages qui remontent à des milliers d’années. Le patrimoine est un marqueur identitaire, il n’a qu’une seule fonction : désigner, désigner qui nous sommes dans le groupe, dans la cité et dans le monde. Il est le ciment qui permet d’éviter la désagrégation sociale**.
*Professeur des universités, Université François « Espace, Nature et culture», Université Paris-IV Sorbonne (Paris).
**"Les immigrés comme enjeu des stratégies identitaires locales·, Rapport de recherche pour la Mission du patrimoine ethnologique, 1989.