On a lu pour vous : Le parcours d’une prostituée tunisienne

On a lu pour vous : Le parcours d’une prostituée tunisienne

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Le racolage commence dès le titre et la silhouette d’une blonde habillée en robe rouge sur la couverture. Écrire sur une prostituée tunisienne, c’est comme offrir de la nourriture à des affamés, on ne peut résister à découvrir un univers sur lequel on fantasme dans nos sociétés conservatrices. L’auteur est Mounira Bouzid, qui écrit pour Le courrier du Maghreb et de l’Orient. Elle nous offre un petit roman qui se lit assez facilement, d’une seule traite...

 

Loin de Abdallah Guech

 

On pourrait croire que Mounira Bouzid allait nous plonger dans la prostitution tunisienne « traditionnelle », celle de Abdallah Guech, l’odeur de l’encens, les passes à 10 dinars et les bandits. Petit twist, c’est dans les appartements de luxe que nous pénétrons (sans mauvais jeu de mots), ainsi, elle fait des s+2 et des garçonnières à Nasr les nouveaux décors de la prostitution de « luxe ». Les noms des quartiers deviennent une carte géographique que la protagoniste Manoubia parcourt : de la banlieue Sud, à Cité Ettadhamen, du Lac 2 à Gammarth, l’ascension sociale de l’héroïne est pensée et écrite autour de Tunis.

L’argument est simple : Manoubia vient d’une famille pauvre, elle veut devenir hôtesse de l’air, une rencontre va changer sa vie et la mènera à la prostitution. Elle vend d’abord sa virginité à des Saoudiens, puis, petit à petit, elle devient une femme de pouvoir avec un réseau de prostitution conséquent et un nouveau nom « Madame Sandy ». Elle a des clients fidèles, et surtout des secrets qui lui donnent de quoi faire chanter les plus grandes figures de l’industrie et de la politique dans le pays.   

 

Les filles invisibles

Mounira Bouzid injecte dans sa fiction des faits divers qui se sont réellement déroulés en Tunisie lors de la crise libyenne, en particulier les défenestrations de prostituées tunisiennes. Elle met dans sa panoplie de personnages des étudiantes, nouveau phénomène de prostitution en Tunisie conséquence directe de la crise financière. Au final, ce sont les filles invisibles qu’elle montre, celles qui font la manche, celles dont la mort ne compte pas, celles qu’on voit dans les soirées et les salons de thé.

La protagoniste Manoubia est décrite comme une héroïne de l’aventure moderne : celle faite de sexe et d’argent. L’ascension sociale par le sexe paraît parfois plus éthique que celle par la corruption des hommes qui la payent. La symbolique de la vente de sa virginité, puis du travail à la chaîne du corps interroge l’importance de la morale face à la survie et à l’argent. Ainsi la virginité a un prix, le corps a un prix, les filles qu’elle fera travailler ont un prix, tout est étiqueté dans ce livre, même l’amour.

 

L’Arabe, ce chacal

Si « Parcours d’une prostituée tunisienne » est un livre sur les femmes par une femme, il s’attaque férocement à l’Homme arabe. Il est décrit comme un être frustré, qui ne sait pas faire l’amour, dont l’ego est directement lié à ses performances sexuelles, ignorant et hypocrite. Conséquence, Madame Sandy ne trouvera l’amour que chez un blanc, un français qui acceptera son passé de prostituée. Il y a une généralisation qui dérange, essentialiste, un raccourci haineux envers l’Homme arabe qui ne prend pas en considération les paramètres qui ont fait de lui ce qu’il est : la morale religieuse, la société patriarcale, la figure de la mère, le tabou du corps dans nos sociétés. Il n’y a aucune complexité chez les personnages masculins qui ne sont en fin de compte qu’un faire-valoir de l’héroïne. 

 

En conclusion, « Le parcours d’une prostituée tunisienne » n’est pas de la grande littérature, mais un bon petit roman, à la plume assez simple et à la structure narrative efficace. S’il a quelques faiblesses, surtout au niveau des personnages et leurs profils psychologiques souvent superficiels, il est intéressant d’avoir ce genre d’histoires tunisiennes dans nos bibliothèques pour nous rappeler que « la femme tunisienne » est un mythe et qu’il est temps de regarder notre société dans les yeux.