Moez Mrabet, de l'autre côté du miroir

Moez Mrabet, de l'autre côté du miroir

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Avec la sensibilité d’un artiste et l’énergie d’un activiste et d’un homme de terrain, Moez Mrabet est le yin et le yang, un assemblage de contraires, un profil surprenant avec qui et durant plus d’une heure, nous avons discuté à bâtons rompus de théâtre, de culture, de changement, d’espoir et de désespoir à l’image du pays. Curieux de tracer les traits d’une personnalité qui, durant plusieurs jours, a défrayé la chronique, nous l’avons écouté parler de lui et en parlant de lui, c’est Hammamet qui est revenu plusieurs fois dans la discussion, mais pas que.

 

Ces derniers temps et en parlant de culture et d’art, de loi de finances et de budgétisation de ce secteur ô combien sensible et vital à la société tunisienne, un nom est souvent revenu, celui de Moez Mrabet. Et pour cause, l’homme s’est retrouvé au cœur d’une polémique, ciblé à deux reprises par le Ministère des Affaires culturelles. La première fois pour amputer le budget du centre qu’il chapeautait de près de 65 % et la deuxième pour mettre fin à son mandat à la tête de ce centre.

 

Directeur durant deux années (2016/2017) du Centre culturel international de Hammamet, le large public n’a connu de l’homme que ses réalisations les plus apparentes et il faut dire qu’elles sont respectables. Car, voyez-vous, une programmation digne de ce nom qui s’impose autant par son sérieux, que par sa qualité, son respect de l’intellect du spectateur est devenue quasi-rare dans nos festivals internationaux. Le Festival international de Hammamet, contrairement à son grand-frère de Carthage, a rompu avec les chanteurs rotaniens et autres adeptes des plateaux télévisuels mainstream et a choisi de faire appel à des Anouar Brahem, en avant-première mondiale, accompagné de Dave Holland et de Django Bates, des monuments de la musique internationale, des Beth Hart, le groupe Tinariwen, Ibrahim Maalouf, El Gusto, Ilhem Medfai, Badiaa Bouhrizi, sans parler des performances théâtrales, etc.

 

Moez Mrabet est un homme de théâtre, sa passion pour le 4e art l’a accompagné depuis ses années lycée où il commença à découvrir les œuvres de Fadhel Jaïbi et de Taoufik Jebali. Plus tard et après un bac sciences et une année en physique-chimie où le théâtre universitaire fût son lien avec sa passion, il rejoint l’ISAD pour donner forme à ses aspirations. Son expérience d’universitaire qui étudie à New York et à Paris en faisant ses recherches sur les adaptations dans le théâtre tunisien et sur les influences de Stanislavski, penseur dont les théories ont révolutionné l’art dramatique, se mélange à celle d’acteur qui décroche à ses débuts un rôle dans « Les amoureux du café désert » de Fadhel Jaïbi.

 

« J’ai eu la chance de faire la formation académique en plus d’une formation sur le tas, d’aller à la rencontre du public en profitant de la manière de faire de Jaïbi ».

 

Académicien, auteur de publications parues dans des revues internationales*, il monte ses propres pièces de théâtre en Tunisie : « Strip-Tease, le festin des rats » et « Escale 32 » qu’il présente, respectivement en 2014 et 2015.

 

Moez Mrabet se définit comme un activiste de la société civile, engagé dans des associations et des actions de terrain pour la promotion de l’art. En le rencontrant dans nos studios, pour la première fois, nous nous sommes retrouvés face à un militant convaincu et imprégné des valeurs de partage, de l’accès pour tous à l’art qui nous parle d’assises de la culture que le Centre culturel de Hammamet avait organisées sous sa direction. Il décrit le centre comme un laboratoire d’idées qui devait rayonner sur tout le pays en incarnant le parfait espace de réflexion sur la place des arts dans l’espace public. Réflexion devant incontestablement déboucher sur des actions concrètes tout en donnant aux acteurs culturels tunisiens les outils qui leur manquent.

 

En 2016 il est abordé par Sonia Mbarek, qu’il connaissait à peine et qui, voyant en lui un « porteur de projet », le sollicite pour la direction du Festival de Hammamet après avoir fait appel à lui au Festival de Carthage dans la commission de sélection des créations théâtrales.

 

Pour diriger le centre, il est resté fidèle à la charte fondatrice de l’institution mise en place après le départ de Georges Sébastien et l’acquisition du domaine par l’État tunisien, quand le festival a vu le jour en 1964. Une charte qui prône l’innovation, mais aussi le partage. « Un haut lieu de la culture, une locomotive pour la création et la diffusion culturelle en Tunisie ».

 

Le FIH c’est aussi cette effervescence qui déborde au-delà de la clôture de Dar Sébastien. Les portes devaient forcément s’ouvrir, aller vers le public avec l’Outdoor ou alors le Fest Wave, une ouverture sur les villes et les zones rurales périphériques de Hammamet. Urban Days, Majaless Hammamet, des ramifications à vocations multiples et à but unique, toujours plus d’accessibilité et de partage… qui a dit qu’un festival était une programmation linéaire aussi belle puisse-t-elle être ? Avec beaucoup de passion, il nous en parle comme d’un projet unique en son genre en Tunisie, un projet polyvalent par sa vocation (théâtre, danse, cinéma, musique, arts plastiques) que par son architecture et sa construction (musée, jardin botanique, espace de travail, cinéma).

 

L’expérience Hammamet est probablement finie pour Moez Mrabet, coupée en plein élan, mais la bataille continue. Bataille pour la démocratisation des arts, pour une meilleure infrastructure culturelle dans le pays.

Cofondateur de deux associations (L’association tunisienne des diplômés d’art dramatique et L’art vivant) il croit au pouvoir et au devoir de la société civile où il reprend sa place tout en continuant l’enseignement et la création.

 

“Quand je vois ces enfants avec qui on fait des ateliers, quand je vois ce pays de l’intérieur je me dis que l’espoir est là”...

 


Ne cherchez pas en vous, en vous il n'y a rien ; cherchez dans l'autre qui est en face de vous.

Constantin Stanislavski

            

               

*Stanislavsky in the world “Stanislavsky in Tunisian Theatre: a Heritage in Progress' by Moez Mrabet”