MATZA Kerkennah, ou quand Kerkennah s’invite à Tunis pour permettre aux visiteurs de l’exposition, qui a lieu au musée du Bardo, de faire une immersion dans l’univers particulier de l’archipel.
Si le plus important musée de Tunisie renferme en son sein une large collection de mosaïques, s’il présente aux visiteurs l’identité historique et artistique de la Tunisie depuis l’antiquité jusqu’au temps des beys, aujourd’hui, c’est d’une identité et d’un patrimoine exclusivement kerkenniens qu’il s’enrichit temporairement (du 14 avril au 7 mai 2017).
L’expression artistique, un moyen de lutte
Alors que le dessus de la carte postale laisse voir des paysages paradisiaques sur fond de mer à Kerkennah, l’envers montre une tout autre réalité : problèmes écologiques, socio-économiques, etc. MATZA Kerkennah a réuni une dizaine d’artistes tunisiens et internationaux (suisses, français et belges) autour de ces problèmes.
Leur travail a exprimé, esthétiquement et artistiquement, les enjeux et les obstacles que les pêcheurs, les agriculteurs et les habitants Kerkenniens affrontent tous les jours.
L’exposition est une promenade dans l’archipel à travers des polaroïds, des photos plus larges, des textes, des vidéos, des installations artistiques et des enregistrements sonores. Une immersion qui implique tous les sens.
Durant deux semaines, dix artistes ont plongé dans l’univers des pêcheurs et des habitants, pour créer des œuvres autour du quotidien, autour de la vie sur l’île. En discutant avec les Kerkenniens, ils ont baigné dans l’univers de la pêche et ont recueilli des témoignages pour essayer de comprendre comment s’articule la vie autour de cette activité principale de l’île.
La MATZA, un moyen d’émancipation
Séverin Guelpa, l’initiateur du projet est suisse, il nous a expliqué que MATZA est un manifeste artistique qu’il a fondé avec des gens proches de lui. « MATZA repose sur deux principes : quiconque à travers le monde, a la capacité s’il le souhaite de prendre son avenir en main. Et, ensemble on est beaucoup plus intelligents que seuls » nous dit-il.
« La MATZA est un outil de démocratie directe qui vient du Valais dans les Alpes suisses, où les paysans qui voulaient se défendre au 15e siècle arrachaient un tronc d’arbre dans la forêt et l’emmenaient de village en village, sollicitant l’implication des gens. Tous ceux qui étaient d’accord pour rejoindre la cause, plantaient un clou dans le tronc ».
« L’émancipation est toujours possible même avec des moyens limités », insiste l’artiste qui sillonne le monde depuis 2015 grâce à son projet de la MATZA.
Parmi les artistes que Séverin Guelpa a invités à sa MATZA, l’on retrouve la cinéaste et plasticienne tunisienne, Moufida Fedhila. Cette dernière a travaillé sur le rapport des Kerkenniens avec le reste de la république et avec l’Europe, dont les rives sont proches de celles de l’archipel. Elle a essayé à travers ses créations de mettre en avant la notion de « l’aller-retour ».
Son travail se décline en vidéo, en photo et en une installation avec les objets des pêcheurs. La vidéo s’intitule « On the other side », elle met en scène un personnage, qui fait du sur-place au lac salé, symbolisant l’inertie qui renvoie à l’attachement des habitants à leur île. Elle a aussi rapporté en poésie et en photos instantanées les propos des jeunes qui malgré les moyens économiques et l’infrastructure limités tiennent à rester à Kerkennah. Moufida Fedhila nous confie avoir vécu « une belle expérience » à travers la MATZA Kerkennah.
De cette plongée kerkénienne, le visiteur ressort imprégné d’une identité insulaire si particulière, qu’il aura l’impression, l’espace d’une exposition que les distances ont été réduites entre l’île et le continent. Seul bémol, l’absence physique des marins et représentants des habitants au vernissage de l’exposition, il nous manquait probablement leur témoignage sur l’expérience MATZA. Car, si les artistes ont réussi leur immersion dans le monde des habitants, ces derniers n’ont pas plongé dans l’univers des artistes au Bardo. Toutefois, la manifestation vaut le détour et à défaut d’aller sur l’archipel, c’est lui qui est venu à nous.
Crédit photos : Hajer Boujemâa