Mariem Chaari, Aka Gluco Mania : Large is beautiful

Mariem Chaari, Aka Gluco Mania : Large is beautiful

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Je ne suis ni «de forte taille» ni «ronde». Je suis grosse.

C’est absurde d’essayer d’embellir ce qui est déjà beau.

 

 


 

 

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Crédit : Ahmed Essid

 

Une chevelure d’un bleu-violet qui interpelle le regard à chacun de ses mouvements, des formes généreuses couvertes avec goût, grâce et couleurs, un rire métallique, un visage aux expressions malicieuses, et des yeux moqueurs. Mariem Chaari, aka Gluco Mania, est une créatrice de mode autodidacte, qui a hérité du métier de sa mère et de ses propres souffrances.

 

 Une marque née du “body-shaming” et du harcèlement de rue.

 

D’origine sfaxienne, cette jeune femme de 28 ans se présente comme quelqu’un qui galère et qui peine à finir ce qu’il entreprend. L’année dernière, elle a lancé sa marque «Melpomene», une marque de vêtements pour toutes les femmes, dit-elle, mais surtout pour celles qui ont du mal à trouver ce qui leur convient dans l’industrie du prêt-à-porter; les femmes de forte taille. Durant le mois d’avril, elle va participer avec sa nouvelle collection printemps-été à l’évènement «Miss Ronde Tunisie».

 



 

 

«Je n’ai pas toujours été ainsi, je n’avais aucun style. Je ne m’habillais que pour me couvrir et pour qu’on oublie que j’ai un corps. J’ai souvent été comme la plupart des femmes de ma taille. Ma garde-robe se résumait à des leggings noirs et des hauts amples, qui n’ont rien à envier aux tentes de par leurs couleurs sombres et leurs formes approximatives».

 

L’envie de se cacher était là, mais autrement, faire du shopping pouvait s’avérer un réel calvaire quand on est de forte taille. «On n’a pas votre taille!», Mariem entendait cela dès qu’elle passait le seuil d’un magasin. «C’est humiliant. Comment pouvait-elle savoir, cette vendeuse, si je ne venais pas juste pour chercher des lunettes ou un cache-col»?

 

Elle se justifie, et pourtant, elle n’a pas à le faire. Dans un monde normal, on a quand même le droit d’acheter ce qu’on veut, même si ce n’est pas la bonne taille. Triste constat est celui de savoir qu’une simple chose, comme l’apparence, peut transformer en enfer une expérience normale comme celle de chercher une paire de jeans.

 

Ayant longuement souffert du regard et des jugements qu’on lui porte, le harcèlement de rue est pour elle, une peste qui ronge le corps des femmes de toutes les formes, les tailles et les apparences. «Toutes les femmes souffrent dans la rue. Je ne suis pas la porte-parole de celles de ma taille. Que tu aies les cheveux courts, que tu sois trop mince, trop ronde, noire, blanche, petite, grande, que tu aies de l’acné ou une peau de rêve, tu y passeras. Le harcèlement est le quotidien de toutes les Tunisiennes». C’est après une année passée en Grèce que les choses changent pour elle, comme par magie.

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                              Photo du shooting en Grèce

«Mon ex-époux m’avait prise en photo, j’étais moi-même, je ne pensais même pas que ça allait donner de belles prises. À mon retour, et en découvrant ce à quoi je ressemblais, j’avais pris conscience qu’on n’est beau que quand on est insouciant».

 

Le harcèlement de rue, ce fléau universel qui n’est pas propre à notre société, Mariem Chaari l’a vécu même en Grèce, à la seule différence qu’elle pouvait trouver sa taille dans les magasins et qu’elle ne comprenait pas la langue de ceux qui la jugeaient et qui la pointaient du doigt quand elle s’aventurait à sortir.

 

Cette expérience en Grèce l’avait changée. C’était une prise de conscience minime : de toute façon les gens jugent toujours, et le fait d’être victime est un choix, non une fatalité.

«À partir de là, mon rapport à mon corps avait changé. J’ai adopté un style excentrique qui me convenait, et j’ai décidé qu’au lieu de me cacher comme je l’ai toujours fait, il était temps que je sorte vers le monde».

«Finie était l’ère du body-shaming, ou le fait blâmer quelqu’un pour l’apparence de son corps».

 

Une lutte pour échapper à la défaite et au désespoir continuels.

 

Représentante de cette tranche de la jeunesse que le système éducatif rigide met en marge, Mariem était brillante élève et bachelière mentionnée. Pourtant, son orientation supérieure vire au cauchemar quand elle réalise que ses études en beaux arts lui coûtent très cher, et que travailler dans un centre d’appel pour financer sa nouvelle vie d’indépendance lui prend tout son temps et toute son énergie.

 

Dérogation après dérogation, elle quitte les bancs du supérieur sans diplôme et se retrouve désarmée face à un monde où un titre académique résume une personne et ses compétences.

 

Sans réelle vocation, elle cumule les petits boulots : serveuse dans des bars branchés de la capitale, téléopératrice, assistante personnelle… rien ne semble lui plaire ni l’inspirer.

«Je voulais créer et laisser une empreinte. Me lever pour aller harceler des personnes innocentes au téléphone ne me ressemblait pas».

 

Nombreux sont les jeunes qui finissent dans des entreprises qui ne leur ressemblent pas, par soucis financiers et par conventions sociales. Avoir un salaire fixe, fonder une famille et payer ses factures, ces pressions noient les jeunes créatifs dans la routine et la dépression. Triste mot, banni par les employeurs, la dépression, véritable fléau des temps modernes, assombrissant les regards, mutilant les esprits et faisant fuir les employeurs.

 

«J’étais devenue incapable de produire et de me lever chaque matin, prendre les transports publics, et entrer dans le bâtiment du centre d’appel!».

 


Crédit : Ahmed Essid

 

Se succèdent ainsi des évènements sombres sur le plan personnel, relatifs à son apparence, à ses relations avec le monde extérieur et à l’incompréhension de ses proches. «La chute n’était pas loin, et je sentais la fin s’approcher. J’étais à deux doigts d’en finir, quand prise par une réelle frayeur pour ma vie, je me suis rendue à l’asile psychiatrique Razi, en leur disant que j’avais peur de moi-même et de certaines envies suicidaires qui me hantaient».

 

Une prise de conscience et une réconciliation avec soi

 

Le contact avec ceux qu’on appelle «les fous», les rejetés de la société, ces portraits de l’humanité séquestrés entre quatre murs parce qu’ils dérangent avec leur franchise et leur perception différente de la vie, du vrai et du réel, était-ce là le secret du changement?

 

Mariem n’en est pas sûre. «Tout ce que je sais c’est que j’étais reconnaissante, à ma sortie, d’être encore en vie». La décision était prise, celle de faire le ménage dans ses idées et de tout faire pour ne plus revenir dans un centre d’appel.

 

La technique est simple : un papier, un crayon, une ligne au milieu et noter de part et d’autre ce qu’on veut et surtout ce qu’on ne veut pas. La solution était là, sautant aux yeux de Mariem comme une évidence. Faire de son calvaire son métier, créer des vêtements qu’elle pouvait mettre et qui pouvaient aider ses semblables à mieux s’accepter.

 

«J’ai commencé à coudre, et ma mère, couturière, m’a aidé. C’était simple et joyeux de le faire. Mais le meilleur c’était quand j’ai créé ma page où j’ai posté des photos de mes créations, et que j’ai reçu mes premières commandes!»

 

La réussite et la renommée sont des perceptions relatives, mais Mariem, dans son réseau de connaissances semble satisfaite. Une longue route pénible par moment l’attend certes, mais cela est le cas de la plupart des entrepreneurs qui se lancent dans des carrières solos en attendant le coup d’envol.

 


Crédit : Zaraki Kenpachi

 

 

 

« Pour réussir, il faut commencer par s’aimer soi-même, le reste viendra naturellement. Et tant qu’on est en vie, les choses peuvent changer comme on l’entend ».