"Machina Bona Hora" : La fête de l’insignifiance "Zaghbanienne"

"Machina Bona Hora" : La fête de l’insignifiance "Zaghbanienne"

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En recevant le Prix Béchir Khraief pour son roman "Machina Bona Hora", lors de l’ouverture de la 33e édition de la Foire Internationale du Livre de Tunis, Kamel Zaghbani n’a pas raté l’occasion pour s’affirmer en tant que penseur de la marge.

 

On retrouve cette attitude subversive dans son roman où l'on découvre une obsession pour les personnages et leur psychisme. Des personnages qui se rencontrent, rompent et s'alignent en couches superposées, à tel point que chacun en devient le personnage principal.

 

L’histoire est celle d’un écrivain méconnu qui peine à se faire lire en dehors du cercle de ses amis "intellectuels". Bien que tous lui assurent que ses livres sont importants d’un point de vue littéraire, l'auteur ne réussit ni à vendre ses romans ni à attirer la sympathie des critiques. Il décide d’y remédier en écrivant une « lettre anonyme » à un Cheikh, superstar d’une chaîne de télévision satellitaire, en y joignant une copie de son roman. Dans cette lettre, il ne manque pas de préciser qu'il est un apostat et que son roman est blasphématoire, demandant à son correspondant de l’excommunier et d'appeler à sa mort. 

 

Il y a là des histoires encastrées les unes dans les autres. Des histoires qui en enfantent d’autres, des rencontres qui se croisent, puis se transforment en destinée. Quatre chapitres constituent ce roman-fleuve de Kamel Zaghbani « Machina Bona Hora », « La machine du Bonheur », ou encore « Le système du bonheur ». Un point réunit les personnages. Chacun souffre dans sa différence et dans sa quête d'intégration du système. Des écrivains sans succès, un professeur qui revit, à son retour de l'étranger, après la révolution, des souvenirs d’étudiant de gauche marginalisé pour ses origines rurales et son statut social, un chauffeur de taxi misogyne qui explique ses échecs par ce pays « féministe » qui donne tout à la femme; des femmes qui ne réussissent à s’intégrer et à survivre qu’en vendant leur chair pour faire des économies… et la liste est longue.

 

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En revanche, un seul personnage semble heureux dans sa différence. Mieux, il est supérieur par son handicap. C’est Chouaib Fatnassi, « le boiteux ». Ayant échappé aux séances de sport et à une bonne partie de son éducation, il a échappé au « système scolaire » et par la même au « système ». Cette homme en dehors des normes de « la réussite » et de « l’échec » est un personnage au-dessus de la dualité bien/mal, un surhomme, à sa manière. Présent tout au long du roman, Chouaib est, sans doute, le personnage fétiche de Kamel Zaghbani.

 

Dans « La fête de l’insignifiance » de Milan Kundera, les personnages évoquent leur « créateur » explicitement, le rendant responsable de leurs faits, gestes et répliques. Le romancier raté de « Machina Bona Hora », quant à lui, se rejoint avec son créateur en un point. Ayant recontré l'auteur "originel" Zaghbani dans un bar, ce dernier confie au chauffeur de taxi qu’il va s’inspirer de son histoire pour un nouveau roman. Le  romancier raté de « Machina Bona Hora » en fait de même au début du livre.

 

L’histoire de cette lutte permanente des personnages pour s’affirmer est-elle celle de l'auteur, ou ce dernier se joue-t-il de nous en nous projetant dans sa mise en abyme vertigineuse pour démystifier le réel ?

 

Une chose est sûre, « Machina Bona Hora » est un roman qu’on ne lit pas linéairement, et duquel on ne sort pas indemne.