Le théâtre : une liberté individuelle en attente d'une liberté collective

Le théâtre : une liberté individuelle en attente d'une liberté collective

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Un séminaire s'est tenu, à El Teatro, le 23 mars 2017, autour de la thématique de la censure et de la place du théâtre et de l’artiste, dans un contexte post-révolution, sous le slogan : « Illusions de liberté dans une réalité schizophrène et une censure camouflée ». Ce débat fait suite à la polémique sucitée par l'affiche de « Fausse Couche », un spectacle de danse de Najib Khalfallah.

De la Révolution et du théâtre

 

La révolution, cette expression sociale « stylistique » va du politique, au scientifique, au religieux jusqu’au culturel. Le théâtre pour sa part, a toujours été une expression des interactions sociales et une expression critique. C’est en quelque sorte, un mouvement révolutionnaire qui a pour but le bonheur des hommes.

 

« Le théâtre est historiquement et par essence en relation de conflit continuel avec les pouvoirs en place ». Mongi Brahim

 

Le théâtre est, de par sa nature, contestataire. Il est donc intéressant de voir ce que cela génère. Une recherche dans la définition de la liberté, de la réalité et de la censure.

En passant de la dictature à la démocratie, les participants de cette rencontre se sont portés volontaires pour dresser un état des lieux.

 

La liberté comme acquis

 

« Personne ne peut nier que, depuis la révolution, les espaces publics ont été investis par une expression libre, politique ou artistique. Incontestablement la censure des appareils de l’État a nettement baissé et tous les artistes et tous ceux qui se proclament comme tels ont pu s’exprimer librement. En plus des genres classiques tels que le cinéma, le théâtre, la littérature, la peinture et les arts plastiques, etc., on a vu l’apparition et l’expansion de genres nouveaux tels que la street art, la street poetry, la street dance, etc. Tous les arts ne sont plus confinés dans des espaces clos, qui n’ont pas perdu pour autant leurs activités habituelles. » Explique Mohamed Khenissi, citoyen théâtrophile comme il se présente.

 

« La censure de l’État a disparu, à quelques exceptions près, et sous la pression de forces politiques et idéologiques rétrogrades : l‘exposition de la Abdellia, Persépolis, “Ni dieu ni maître” à CinéarfricArt, en sont des exemples ».

 

La censure et ses formes

 

Il ne s’agit donc plus de censure de l’état. Et c’est Taoufik Jebali, metteur en scène, dramaturge et fondateur de l’espace El Teatro, qui ironise sur le passé de la censure sous l’ancien régime.

 

« L’appareil de contrôle et de censure n’était pas si efficace, ni réellement contraignant, la preuve, on pouvait se jouer de lui et faire passer ce qu’on voulait. On ne nous comprenait pas forcément. Par contre on censurait ce qui était superficiel, et pas forcément important, pour des raisons obsolètes à la limite du ridicule ».

 

Une censure bien présente, qui n’a pas forcément mis des artistes en prison ni en exil. D’ailleurs il cite anecdotiquement que la seule fois où l’institution de contrôle a cessé de fonctionner pendant quelques jours, Lamine Nahdi a été arrêté pendant 15 jours.

 

« La réelle censure réside en la société. Une société profondément schizophrène, très condescendante quand elle veut, très fondamentaliste quand elle veut ».

 

Un intellectuel en rupture avec la société

 

« Le réel problème de la révolution tunisienne est qu’elle s’est faite sans idéaux intellectuels ». Mongi Brahim

 

La question qu’il faut se poser c’est combien d’artistes et d’intellectuels ont réellement participé à ce processus révolutionnaire ? Et combien l’ont fait avec une conscience intellectuelle pour oser aujourd’hui critiquer ce qui en a résulté ? » « Comment peut-on demander à un artiste de créer en toute liberté quand lui même la rejette et n’en use pas ? Combien d’artistes tunisiens sont réellement progressistes et libérés ? »  Taher Ajroudi, animateur culturel, comme il se présente.

 

Des questions provocatrices qui ont créé plusieurs réactions. Comme celle de Abdehalim Massaoudi, critique d’art.

 

« Je hais le théâtre, et j’ai l’impression de poursuivre une polémique qui se rapproche plus de la mascarade. On continue de faire semblant par amitié et consensus ».

Il continue en suggérant que la vraie thématique devrait être « illusions d’oppressions dans une réalité schizophrène et une censure explicite ».

 

 

Il explique que durant l’histoire, en citant les révolutions française et russe, les théâtres avaient disparu. Ceux qui créaient étaient accusés de « antirévolutionnaire », « bourgeois » contraires aux attentes des peuples et des revendications populaires et révolutionnaires. Il avance ensuite en théorisant, qu’il se peut aussi que « la révolution en soi offre un spectacle ». En ce sens où, les artistes sont en retard par rapport aux attentes et à ce à quoi est habitué l’œil en violences et accélération d’événements.

 

Illusion de liberté est pour ceux qui sont conscients de son inexistence.

 

C’est Taoufik Jebali qui finit par donner le ton final. À la surprise de quelques intendants, c’est le thème en lui même qui est remis en question.

« Personne n’est obligé de lier son destin à celui du groupe. On est responsable de soi. Personne ne t’a confié la tâche ni la responsabilité de quoi que ce soit. Être artiste, engagé ou pas n’est pas une obligation. D’une part on est redevable de rien, de l’autre, s’engager à une cause ne fait pas de la société redevable de quoi que ce soit. »

 

Pour finir, il insiste qu’il faut quand même dédramatiser et comprendre que le plus important est d’avoir l’occasion d’extérioriser et d’écouter ce qui est intériorisé.

 

« On n’est pas victime de la société, ni du système de censure, ni du fondamentalisme. On est victime de son propre engagement, et cela est la responsabilité de tout un chacun. On est libre individuellement, pas besoin d’attendre une quelconque liberté collective ».