« Votre douleur est cette fissure de la coquille qui renferme votre entendement », dit Gibran Khalil Gibran. L’art, lui, est cette lumière qui jaillit de la fissure pour inonder le monde, le temps d’une prestation.
« Le Fou », avant d’être une adaptation théâtrale et un hommage à Gibran par Taoufik Jebali, est cette friction entre deux univers qui donne naissance à un big bang sensoriel et un multivers résonnant de spiritualité.
Que reste-t-il d’une pièce une fois finie ? Des impressions, des interprétations et des énergies résiduelles… mais pas uniquement. Une créature « Gibrano-Jebalienne » envoûtante semble prendre forme...
Il reste « La musique »
Nubthah fi Fan Al-Musiqa (1905)
Comme le titre du premier livre de Gibran… Le Fou est en quelque sorte un spectacle de musique…
En bande sonore étouffée, lointaine et ralentie par moment, alien et accélérée par d’autre, les voix de Taoufik Jebali, Hend R’haiem, Chekra Rammah, Dorra Zarrouk et Nidhal Guiga interprètent les textes de Gibran dans un univers sonore « Jebalien ».
Acteur, dramaturge et metteur en scène, Taoufik Jebali est également un percussionniste. C’est peut-être la raison derrière cette musicalité perceptible à l’oreille dès les premières « notes » du spectacle.
« Donne-moi une oreille et je te donnerai une voix ». Gibran Khalil Gibran
Et pendant cette création, Taoufik Jebali semble dire : « Donne-moi une oreille et je te donnerai de l’émerveillement. »
Il reste « Les Esprits Rebelles » et « Les Ailes brisées »
Al-Arwah Al-Mutamarridah (1908)/Al-Agniha Al-Mutakasirra (Les ailes brisées)
Votre langue n’est pas la mienne…
Se poursuit la bande sonore récitant un Gibran qui réinvente la langue, pour en créer une autre moins cloisonnée, moins rigide et plus rebelle. Jebali quant à lui, fait danser ses acteurs sur des musiques originales de Nejib Charadi et des emprunts à Zakir Hussain. Les danseurs se moquent de nous, une hérésie salvatrice prend forme, à la gloire de la rébellion et du sarcasme. « Ce monde ne nous ressemble pas. Sa langue n’est pas la nôtre. Ses codes nous sont étrangers »… semble dire cette pièce.
Votre idéologie est celle qui jouit de la protection de la coterie
ou des aisances de la vie.
Mon idéologie est la pensée de tout errant dans sa patrie,
et le sentiment de tout étranger là où il vit.
Le Fou est ainsi ; voix haletantes, fou-rires étouffés, atmosphère étrange, du non réel et de l’incompris. Peut-être un appel au secours de l’étranger errant, à la recherche d’une terre qui l’adopte.
C’est peut-être cela également l’artiste, le poète. « Je suis un étranger dans ce monde ». Gibran et Jebali le disent si bien.
Il reste Le Fou
Le fou (1918)
Le Fou de Jebali est une poésie touchante et étrange et une exploration scénique.
Se résume ainsi la créature du Fou ; une folie salvatrice, une réinvention du « Moi », et un abandon de la guerre perpétuelle avec l’univers. Une psychanalyse Gibrano-Jebalienne de l’Humain.
« C’est ainsi que je devins fou… Et dans ma folie, j’ai retrouvé à la fois ma liberté et ma sécurité ; la liberté d’être seul et la sécurité de n’être pas compris. Car ceux qui nous comprennent volent quelque peu de notre liberté. »
Ainsi, être fou, c’est être libre. Ainsi, la raison, c’est être violé dans son humanité.
Photo : Mohamed Karim El Amri
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