Il n’a presque pas été mentionné dans les médias avant de se tenir, tant l’actualité brûlante nous focalise vers le Bardo ou les cafés du parcours présidentiel. Sadio Mané ou Mohamed Salah pourraient s’en financer un chacun chaque mois, vu la faiblesse du budget qu’on lui alloue. Le matériel nécessaire a croupi des semaines à la douane, alors que la Tunisie se l’est vu attribuer depuis quatre ans. Et pourtant, il rassemble l’élite continentale du sport collectif où l’Afrique tient le mieux son rang dans le concert mondial (hormis le Rugby, qui n’est dû qu’à l’exception sud-africaine). Le 24ème CAN de handball a démarré jeudi à Tunis. Et son importance est double : en plus de l’habituelle gloire biennale, le champion d’Afrique sera qualifié directement aux Jeux Olympiques.
Imaginez un instant qu’en football, notre équipe nationale se qualifie trois fois de suite pour la Coupe du Monde - les trois premières éditions qui plus est- et qu’elle n’y aille que la toute première fois… C’est plus ou moins ce qui s’est passé en handball, où, lorsque la discipline fut enfin réadmise aux J.O (le nec plus ultra de ce sport) en 1972, la Tunisie se qualifia de haute lutte face à l’Algérie et l’Egypte. Elle récidiva en 1976, pour voir l’Afrique déclarer forfait, puis en 1980, pour que cette fois-ci M’zali décide de ne pas aller chez les bolcheviks. La sélection ne devait y retourner que vingt ans plus tard (aux Jeux, pas chez les communistes), étant dépassée par la planification algérienne et l’importance égyptienne, en réservoir de joueurs et en influence (Le Caire abrite toutes les confédérations continentales. C’est un avantage).
A trois c’est la joie
A la lecture de ce qui précède, la sagacité proverbiale du lectorat de Misk constatera que ce sont toujours les trois mêmes sélections qui se disputent le titre messieurs en Afrique. C’est rigoureusement exact. En 23 éditions des championnats continentaux, seules la Tunisie, l’Algérie et l’Egypte ont remporté le titre et elles seules ont participé aux J.O -voire aux championnats du monde avant que la formule ne qualifie plusieurs pays africains. Mais il ne faut surtout pas prendre les autres équipes pour quantité négligeable : en 1972, avant qu’on ne créé le CAN de handball, l’Algérie bat la Tunisie à domicile lors du tournoi qualificatif pour les JO de Münich. Mais elle se fait damer le pion en s’inclinant juste après contre le Sénégal. Lorsque la Tunisie accueille la 4ème édition du championnat d’Afrique dont elle a remporté toutes les éditions jusque-là, elle termine troisième sans s’incliner face à l’Algérie, qui remporte le tournoi, mais parce qu’elle se prend les pieds dans le tapis face à la Côte d’Ivoire. Et lors du premier CAN, à Tunis en 1974, c’est le Cameroun qui bat l’Egypte -pas la Tunisie, que nos frères et amis du Nil refusent de rencontrer.
Les Egyptiens s’estiment lésés par la paire sénégalaise, qu’ils accusent d’avoir fait gagner le Cameroun pour favoriser la Tunisie. Et -alors qu’une victoire dans le dernier match face à leurs hôtes leur donnerait le titre- préfèrent rentrer au Caire. Pour leur défense, il faut dire que ce tout premier tournoi de 1974 a vu l’un de ces arbitres Sénégalais quitter le terrain en plein match pour aller boxer un spectateur dans les gradins -et revenir ensuite sur le parquet (Eric Cantona peut aller se rhabiller). Rock and roll. L’Algérie, elle, vexée de sa mésaventure de deux ans auparavant, ne vient pas alors qu’elle s’était engagée. Elle convie en retour le continent à inaugurer sa monumentale salle Hassen Harcha en 1976 pour le second CAN. On y prévoit pour la première fois deux groupes, avec finale entre les deux premiers. Versée dans le groupe des organisateurs, l’équipe de Tunisie se voit devoir descendre de son bus au beau milieu de la foule, ce qui lui donne le supplément d’âme lui permettant de l’emporter d’abord sur ses hôtes en match d’ouverture, puis en finale face à l’Egypte -une performance qu’elle rééditera deux ans plus tard au Congo en s’imposant aux deux formations pour réussir un trois sur trois.
CAN ya ma CAN
C’est alors que la planification algérienne va imposer sa loi. Ayant retenu d’abord le modèle soviétique, puis le yougoslave qui convient mieux à ses joueurs et réussit tout aussi bien, l’Algérie après avoir surpris à Tunis en 1981 va régner sans partage durant une décennie, remportant cinq titres continentaux de suite. La détection dès les scolaires, l’imposition par la direction technique nationale du même système de jeu à toutes les équipes et le développement des salles couvertes vont donner une avance considérable à nos voisins de l’ouest, que nous ne surprendrons qu’aux Jeux Panarabes en 1985. Mais pendant ce temps, l’Egypte travaille intensément, profite d’un réservoir de population incomparable et d’une compétition sport et travail qui renforce les structures de leurs imposants clubs civils. Et lorsqu’elle remporte ses deux premiers titres au début des années 1990, on pense que cette décennie-ci va elle aussi connaître une nouvelle hégémonie.
Il n’en sera rien. D’une part parce que les pharaons n’hésitent pas une fois ou deux à sacrifier la CAN en n’y envoyant pas leur meilleure sélection pour mieux préparer la Coupe du Monde (ils n’ont vite plus pu se permettre ce genre de calcul…), d’autre part parce que la Tunisie s’est elle aussi restructurée, dans le jeu et dans les moyens, et voit son handball connaître une véritable renaissance. Ce seront dès lors une sorte de ping-pong de sacres en alternance entre la Tunisie et ses voisins, notre sélection étant la seule à parvenir à conserver son titre au cours des trente dernières années, bien qu’elle n’organise le tournois qu’une fois tous les quinze ans contre une fois sur trois pour ses concurrents les plus redoutables…
Et aujourd’hui ? Et demain ?
Le tournoi qui vient de démarrer ne devrait pas faire exception à la règle. Les trois ‘habituels’ sont favoris, le Maroc et quelques individualités sub-saharienne peuvent émerger (et profiter de la vitrine qu’offre la CAN). L’Algérie, emmenée par Alain Portes qui connaît très bien la sélection Tunisienne pour l’avoir entraînée, pourrait créer la surprise. Reste que le passé que nous venons de remémorer le prouve : rien n’est éternel, et le manque étonnant de résonnance donné à l’évènement n’augure rien de bon. Ceci, pour le sport collectif dans lequel les Tunisiens sont les plus performants, individuellement (Salah Mejri est un cas à part, sinon, Sobhi Sioud et Mouna Chebbah sont à notre connaissance les seuls athlètes tunisiens à avoir été sacrés champions d’Europe des clubs) et collectivement (seul le volleyball peut se targuer d’une mainmise comparable sur le continent, mais sans égaler le niveau mondial de la sélection de handball).
Imaginez des footballeurs ayant le parcours européen de Raja Toumi, Haykel Mgannem, Makram Missaoui, Anouar Ayed et j’en oublie… Imaginez les performances de cette sélection appliquées au football (victoire sur l’Allemagne ou la Norvège en Coupe du Monde, défaite aux pénalties face aux futurs finalistes, etc). Et dites-vous que l’ensemble de la sélection qui sera titrée dans une semaine percevra une prime inférieure à celle que demande un footballeur en deuxième année cadet (ou plutôt ses parents).