La vague alternative arabe ou l’art de réinventer les origines

La vague alternative arabe ou l’art de réinventer les origines

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Comme pour répondre aux chamboulements sociopolitiques, une nouvelle génération d’artistes a pris d’assaut la scène musicale arabe. Si la part belle est faite à l’innovation, la recherche artistique chez ces musiciens éminents découle intimement des origines des uns et des autres.

 

Mashrou’ Leila, le projet de l’avant-garde

 

Au début, il y a eu Mashrou’Leila. Le monde arabe pouvait très bien ne pas être prêt, le groupe libanais déferlait sur toutes les scènes. Le succès se fait entendre depuis le Liban, pays natal, pour atteindre le voisinage du Moyen-Orient puis le Maghreb. L’Europe et l’Amérique du Nord seront bientôt conquises. De Fasateen à Awaduh en passant par Inni Mnih, Haig Papazian, Carl Gerges, Firas Abu-Fakher, Ibrahim Badr et à leur tête, le désormais sex-symbol incontournable, Hamed Sinno. Mais le rythme particulier de la formation, entre rock, pop, et influences jazzy, tient plus de l’avant-garde que du retour aux sources. L’avant-garde tient plus de la prouesse artistique, en rapport avec un paysage musical dominé jusqu’aux années 2000 par la variété typique produite par les Rotana and co. En ce sens, Mashrou’Leila a ouvert les portes pour laisser se faufiler tour à tour toute une horde de jeunes assoiffés de reconnaissance en contrepartie de leur créativité, rivalisant et parfois évinçant les figures emblématiques de la musique arabe, qui dominait jusque là.
 

 

 

 

Remonter aux origines, un itinéraire éclectique

 

Les jeunes artistes du monde arabe sont les dignes enfants de leur siècle : pleins de rêves et d’ambitions, mais tout aussi remplis du sentiment lucide de la difficulté et des défis à relever, favorables à tout changement pour peu qu’il y ait action, réaction et ébranlement. L’ébranlement, c’est ce que s’emploie à susciter un musicien tel que Ali Talibab. Le jeune égyptien construit sa musique autour d’interrogations et de problématiques qui peuvent effrayer, rebuter, ou mieux secouer. La musique de Talibab oscille sur fond de slam, entre les références littéraires, cinématographiques ou encore musicales, des samples empruntés aux grands Yann Tiersen et Omar Khairat, la voix de Oum Kalthoum rythmant un titre tel que Aan Moudhajaat Al Waqaa. L’inspiration de Talibab prend source dans l’héritage arabe, qu’il s’agisse de la verve d’un arabe littéraire impeccable, ou de la pensée existentialiste de Mahfouz, ou encore du cinéma égyptien dans ses années de gloire : le retour aux sources est subtilement actualisé dans des titres où se fait entendre le cri d’une génération en proie à l’angoisse identitaire, à celle de l’errance en soi et dans la Ville, face au politique qui façonne l’avenir incertain et qui empreint l’œuvre d’un engagement quasi vital.
 

 

 

 

La chasse aux dogmes

 

Dans Hadhra Horra, le rappeur libanais Al-Rass fait explicitement référence à la montée de la droite islamique en Tunisie. Les frontières ainsi gommées, la new wave arabe réussit là où la politique a échoué : le rêve arabe semble possible grâce à la musique et à l’art. Unité légitime face à des ennemis communs. L’héritage est à célébrer, mais il ne faut pas s’y enliser. Dans le clip du Saoudien Majedalesa, Hawages, des femmes apparaissent en burka, sur des skates, des converses aux pieds et les cheveux dans le vent, malgré le voile. Chez Omar Souleyman, le patrimoine musical du Golfe est électrocuté, il ne suffit pas de reprendre, il faut que l’héritage soit conjugué au présent. L’électro lui garantit cette prouesse. Résultat des courses ? C’est l’Occident tout entier qui s’arrache le syrien et c’est le prestigieux Boiler Room qui l’accueille pour un concert, où, vêtu de son keffieh et sa abaya, il chante des classiques arabes. Il n’y a d’émancipation plus efficace que celle qui loin du reniement et du conflit, émane des racines, aussi contraignantes soient ces dernières, pour devenir un élan, où l’identitaire s’assume et où l’altérité inspire.