Depuis que notre occupant colonial commun fit occuper une ville de Tunis un peu trop rebelle à ses yeux par les tirailleurs sénégalais en 1917, la Tunisie et le Sénégal voient leur destin se croiser fréquemment. C’est le cas en football, puisque cette nouvelle confrontation arrachée sans rien devoir à personne par une sélection tunisienne jusqu’ici assommante sera la vingt-et-unième de leur histoire.
Racines communes et joueurs peu communs
L’une des versions de l’étymologie du nom ‘Sénégal’ le fait provenir d’une déformation du nom de la tribu des sanhaj, ce qui ferait une racine commune de plus et renverrait immanquablement au football, puisque tout tunisien amateur de ce sport et né avant le gouvernement Mzali se souviendra de l’inoujidable Lotfi Sanhaji. Inoujidable, oui, parce que seul un mot du dictionnaire Laâroussi saurait décrire cet ancien attaquant qui mériterait à lui seul un chapitre dans l’histoire de notre football -mais ce ne sera pas pour aujourd’hui. Le Sénégal était souvent chanté par le public de nos stades, aussi, avant d’être supplanté par le Congo, mais là encore c’est sans rapport avec la demi-finale qui s’annonce.
En fait, le Sénégal est, après nos frères et amis du nord du continent, l’adversaire que nous avons le plus souvent rencontré depuis l’indépendance (avec la Guinée). C’est sans doute dû à l’estime réciproque entre Senghor et Bourguiba, qui facilita les échanges jusque dans le sport, et ça a valu au championnat de Tunisie de voir évoluer pas mal de joueurs sénégalais, allant d’excellents (Cheikh Seck ou Adama Cissé par exemple) à apocalyptiques (Lamine Sarr) en passant par réguliers (Louis Gomis ou encore N’Gom). Ca a valu également quelques confrontations épiques et quelques fin de contrat abruptes.
Des Lions dans la brume
Le bilan, en 20 rencontres, est de neuf succès tunisiens pour quatre victoires sénégalaises, avec sept matches nuls. Le hic, c’est que parmi les victoires tunisiennes, cinq le sont en matches amicaux -sur cinq joués. Il faudrait peut-être faire passer ce match pour un amical ? En compétition, si la Tunisie concéda (à Dakar) la médaille d’or des Jeux de la Francophonie aux… nombre de corners pour leur premier affrontement en 1963, elle imposa à son tour la loi du terrain deux ans plus tard lors d’une nouvelle parité qui la qualifiait aux dépens des Lions en finale de la CAN. L’équilibre tuniso-sénégalais est tel que deux sélectionneurs -tous deux estampillés Ray-Ban, Mokhtar Tlili puis le regretté Jules Bocandé- perdirent chacun leur poste sur le banc à la suite d’une claque reçue en éliminatoires de la CAN, claques qui tranchèrent avec les écarts habituels d’un but sanctionnant les confrontations officielles des deux formations.
Mais c’est lorsque le Sénégal eut sa plus belle équipe (avant cette sélection-ci) que l’équipe de Tunisie réussit face à lui ses performances les plus édifiantes. D’abord en CAN 2002, lorsque les Lions de la Teranga, qualifiés pour une Coupe du Monde où ils seraient quart-finalistes et en route pour la finale continentale, passèrent 90 minutes dans leur camp pour arracher un 0-0 à notre sélection incapable de marquer cette année-là. Et deux ans plus tard, lorsque dans un brouillard fantasmagorique enveloppant Radès, les coéquipiers d’El Hadji Diouf perdirent leurs nerfs et leur aura et s’inclinèrent sur cette action fantastique conclue par Mnari lors d’une rencontre ayant duré plus de cent minutes.
Cette équipe sénégalaise-là était plus forte encore que la solide sélection emmenée aujourd’hui par Sadio Mané. Et au risque de nous répéter, tout est possible sur un match. Le tout semble de ne pas devoir être favori au départ, comme c’est le cas pour la Tunisie depuis qu’elle a commencé sa série de quatre finales de suite. Et de continuer à ne pas avoir de tactique compréhensible (encore que là, face à des malgaches parvenus au bout de leurs possibilités, il y en eut plus) pour continuer à dérouter l’adversaire. Quitte à voler en rase-mottes pour rester sous les radars.