La légende d’el Beatle

La légende d’el Beatle

Partager

Puisque votre radio préférée vous parlait encore récemment des quatre garçons dans le vent, elle va vous parler aujourd’hui du cinquième d’entre eux, George Best. Pas Pete, non, George. Parce qu’il y en eut plusieurs, de ces cinquièmes Beatle, mais George est à part.

 

 

« Si j’avais été moche, vous n’auriez jamais entendu parler de Pelé »

 

A part, parce qu’il n’a jamais joué d’un instrument alors que les ‘vrais cinquièmes’ furent plus souvent une cinquième roue du carrosse qu’autre chose (Stuart Sutcliffe, bassiste médiocre, artiste de talent et surtout pote de John Lennon, ce qui lui valut de faire partie du groupe ; Jimmie Nicol, batteur remplaçant de Ringo convalescent le temps d’une tournée mondiale en juin 1964 ; Pete Best, batteur moyen et principalement fils de Mona, la proprio du club où les Beatles se produisaient, et avec qui le feeling fut moins bon qu’avec Ringo). A part, aussi, parce qu’il n’a en fait rien à voir avec le groupe de Liverpool (à la différence de Klaus Voorman, autre ‘cinquième’ pour leur avoir coupé les cheveux et donné ainsi l’allure post-rock qui allait les rendre populaires). L’histoire que l’on narre ici est celle de George Best (un pan de son histoire du moins), ailier (droit ou gauche tant il était bon des deux pieds) de Manchester United, fut en pleine Beatlemania une icône pop, la première du football et du sport de masse, celui qui passa des dernières aux premières pages des journaux.

 

 

Membre du club des 27

 

Le phénoménal joueur nord-irlandais aurait hélas pu aussi prétendre faire partie du triste club des 27. Car au même titre que Jimi Hendrix, Janis Joplin, Brian Jones ou Kurt Coblain, Georgie fut un artiste et il mourut à 27 ans. Pas au sens physique et terrestre du terme, plutôt au sens moral, puisque c’est à 27 ans et en janvier 1974 que sa vraie carrière de funambule des terrains prit fin avec ManU. Il ne joua ensuite que les prolongations dans des clubs ou des championnats de second rang, comme des mauvais rappels en fin de représentation d’un artiste sonné par l’alcool et les excès que seul un talent inouï lui permit d’honorer -ainsi, un jour en North American Soccer League, son seul énervement suite à une injustice arbitrale l’envoya marquer un but en slalomant à travers cinq adversaires et leur gardien. Son parcours est toutefois différent des autres disparus à 27 ans, puisqu’il ne sombra jamais dans la drogue. Il serait plus à rapprocher de celui d’Amy Winehouse : une star encore enfant, un footballeur-pop doté d’une gueule d’ange propulsé malgré sa timidité vers les sommets par son talent et ensuite surexposé par son look.

 

 

« Je n’aurais pas pu choisir entre me faire Miss Monde et dribbler cinq adversaires puis marquer des trente mètres à Anfield. Heureusement, j’ai fait les deux. »

 

Lorsqu’il le découvre, le recruteur de United pour l’Irlande du Nord dit à Matt Busby qu’il a trouvé « deux joueurs, un bon et un génie ». Le gosse a quinze ans, traverse la mer avec le pote en question et… se fait la malle 48 heures après parce qu’il ne voulait pas rester loin de sa famille. Mais il a tellement de potentiel que Matt Busby, qui sera un second père pour lui, lui laisse le temps. La suite est légendaire et marque la première période la plus heureuse de ManU, effaçant le souvenir horrible du drame de Munich (l’équipe fut décimée par le crash de son avion), culminant avec la coupe d’Europe pour tous et le ballon d’or pour George. Qui, s’étant laissé pousser les cheveux et étant soucieux de son apparence au point d’ouvrir une boutique de mode, sera surnommé ‘El Beatle’ par la presse portugaise au lendemain d’une démonstration sur le terrain de Benfica. Désormais, il est dans les premières pages et plus dans la rubrique sport.

 

 

« J’ai beaucoup voyagé : j’ai fait Miss Canada, Miss Royaume-Uni, Miss Monde… »

 

Car c’est une pop-star, et il a le style de vie qui va avec. Servi par le fait qu’il ne ressemble vraiment pas à Ribery et que son patronyme offre des slogans tout faits, il est le premier footballeur à avoir des gains publicitaires équivalents à ceux de sa profession première. Il enchaîne les conquêtes féminines (l’une se fera par avis de recherche dans la presse danoise), et boit, à chaque fois un peu plus. Pour supporter une surexposition qui le contraint à demander l’aide constante de la police pour lui permettre de se déplacer. Pour supporter le déclin d’une équipe qui a vu partir son mentor, Matt Busby, et ses joueurs emblématiques (six mois après son départ, même si ce n’en est pas la seule cause, United sera relégué). Pour supporter des performances personnelles qui commencent à se ressentir de ses extravagances -peu d’assiduité de sa part, et l’éternel manque de protection offerte aux artistes du jeu. Dissipé sur et hors du terrain, le miracle est que le gamin de Belfast en ces années psychédéliques ne touche pas à la drogue. Mais il s’en découvre une autre avec le jeu. C’est ainsi qu’un jour, en lui apportant sa commande et le trouvant au lit avec Miss Monde (l’une des quatre avec lesquelles il ait été, car il avoua avoir snobé les rencarts avec les trois autres), ses gains au casino étalés de partout et des flots de champagne noyant leur chambre, le serveur du palace où il logeait lui demande « Alors Georges, où est-ce que ça a foiré ? »

 

 

« J’avais une maison en bord de plage. Mais pour [y aller], il y avait un bar sur le chemin. Je n’ai jamais vu la mer »

 

Là où ça  a foiré, c’est lorsque M.U, las de ses frasques (il part se ressourcer à Majorque en pleine préparation puis fait l’aller-retour en Angleterre pour se faire couper les cheveux), décide de rompre définitivement son contrat. Il a 27 ans. Il commence à s’empâter. Il est alcoolique, mais l’époque ne considère pas encore ça comme une addiction ni une maladie. Il lui reste un brin de son talent fou, juste assez pour quelques piges et une ou deux reconversions foireuses en patron de bar-club. Mais c’est fini : la suite sera une longue errance (Afrique du Sud, Amérique du Nord, Asie…), une déchéance avec aux basques des tabloïds se repaissant du naufrage d’un homme toujours plus seul et toujours plus au fond de l’abîme, incarcéré à l’occasion, souvent ivre lors de ses apparitions publiques, contraint de revendre ses trophées pour survivre…

 

 

« J’ai dépensé l’essentiel de mon argent en filles, en alcool et en voitures de sport. Le reste je l’ai gaspillé »

 

Mais au-delà de ce personnage de flamboyant maudit, surjoué jusqu’à se perdre, el beatle fut un homme, simple et entier. Un type dont la lucidité à son propre égard fut la seule à dépasser l’ironie féroce dont il fit montre envers ses congénères joueurs et envers lui-même. Si twitter avait existé, il en aurait été le roi absolu. « Je suis né avec un don exceptionnel et, parfois, un tel cadeau s’accompagne d’une tendance à l’autodestruction. Sur le terrain, je voulais en faire plus que les autres. Quand je sortais en ville je voulais aussi en faire plus que les autres. » Son talent de joueur se mesure lui au fait qu’il soit le seul à avoir été adoubé à la fois par Pelé (qui le qualifia de meilleur joueur du monde), Maradona (qui le définit comme son idole) et Cruijff (à qui Best s’amusa à mettre un petit pont avant de jubiler comme s’il avait marqué, juste pour montrer qui était le patron). Et à ce que Man. United ait mis un quart de siècle (jusqu’à l’avènement d’un autre numéro 7 fort en gueule natif de Marseille) à renouer avec les titres après son départ. Sur son cortège funéraire, dans Belfast où l’un des aéroports porte désormais son nom, figurait la mention ‘Maradona good, Pelé better, George Best’.

 

Lorsqu’on lui demanda s’il avait des regrets, the Best répondit : « Oui, un. En 1971, j’ai tiré un penalty et Peter Bonetti (NDLR : gardien de Chelsea) l’a arrêté. Si c’était à refaire je choisirais l’autre côté ».