Devant un public d’élèves d’El Teatro Studio, de parents, d’amis de l’espace et de quelques curieux, la piéce « L comme oiseau » a été jouée, à El Teatro, le vendredi 17 mars, à 19 h 30.
Mise en scène par Walid Ayadi et interprétée par neuf élèves de deuxième année de cette école de théâtre amateur, la piéce est une libre inspiration de "Comment pourrais-je être un oiseau ?" de Matei Vișniec, dramaturge, poète et journaliste franco-roumain. Elle raconte l’histoire de « Boujnah », « l’Homme à une seule aile », ses périples et ses aventures à travers des récits juxtaposés, racontés par chacun des personnages, lesquels entourent le rôle principal interprété par « Dhafer Ghrissa », un personnage presque muet.
Eloge de l'anomie
Comme l'ange déchu de Wenders, l'homme à une seule aile existe bel et bien. Il est né comme ça, avec une aile à la place du bras droit. Il y a des gens qui ont vu cet Icare manchot et ont même vécu avec lui. Peut-être est-il venu délivrer un message à l’humanité.
La pièce s’ouvre sur une conférence de presse, donnée par deux médecins qui annoncent la naissance d’un « monstre », un enfant à une seule aile. La couleur est donc donnée. Sur un ton faussement comique se succèdent les questions des journalistes joués par Lilia Latrech, Mariem Soufi, Leila Gargouri, Nader Gharbi, Dorra Mossab, Samar Grati, Mohamed Ali Blaiech et Hedi Kamoun.
Manipulation, buzz, "faitdivertisme", manque de déontologie et sensationnalisme, tels sont les ennemis jurés de « Boujnah ». Mais la presse n’est pas la seule à lyncher cet enfant mutilé. Chaque scène est une illustration de l'intolérance et des dégâts des préjugés.
Tout le monde juge, semble dire cette pièce. Tout le monde parle. Tout le monde essaie de taire tout ce qui sort de la norme. L’État, personnifié par deux policiers ahurissants de bêtise, s'avère être le champion de la tolérance zéro.
"Et si la vie était ailleurs ? Et si tout le monde portait au fond de lui un secret et que je suis tout seul, perdu face à leur habile tromperie ?".
Ainsi défile en voix off un texte de Fehmi Balti, médecin, poète.
Femme, mais subalterne
Elle est sa mère. Elle est sa maîtresse. C’est une prostituée dans une « maison close ». C’est un amour de jeunesse anarchiste. Une bouffée de chaleur en cette peinture terne de l’humanité. La femme est ainsi représentée sous tous ses angles, ouverte, tendre, compréhensive et tolérante.
Cette femme reste toujours subalterne, dépendante, et n’existant qu’à travers et pour Boujnah. Une maladresse, peut-être, une intention, peut-être aussi.
Le désir-oiseau de l'artiste
Boujnah est un pianiste. Il ne parle pas. Il n’interagit pas. Il se tait. Pourtant, on le juge et le maltraite. Mais lui, il continue calmement son récital. Il pianote de la main gauche sur l'instrument, et même quand apparaît son amour d’enfance qui traîne son piano de part et d’autre de la scène, il n’arrête pas de jouer. Autiste ? Complètement dédié à son art? Ou tout simplement impossible envol? Peut-être est-ce là la solitude de l’artiste qui ne pourra pas s'envoler pour fuir "l'enfer des autres"!
Les amateurs sont des passionnés. Cette création qui est un « work in progress », comme se plait à le dire Walid Ayadi, est une réflexion poétique sur le désir-oiseau et sur le regard de la société vis à vis de l’artiste. Un thème classique porté à son apogée par Wim Wenders dans "Les ailes du désir" et par le mythe d'Icare.
Photo : Mohamed Karim El Amri