Alors que le monde arabe connaît des crises, des guerres et toutes sortes de conflits dont l’impact sur la vie des citoyens est considérable, le roman arabe traitant de l’exil connaît un essor qui va de pair avec tous ces tiraillements.
Avec trois auteures syriennes différentes, c’est sur le roman syrien arabe et contemporain qui traite de l’exil que la foire du livre a choisi de se focaliser, hier, dans l’un de ses panels.
Il est certain que la créativité de l’auteur est le principal moteur de son œuvre, mais la souffrance, celle de l’exil en particulier, constitue une motivation importante et un terreau fertile pour son imagination. Mais, «peut-on réduire l’exil, chez les romanciers, à un simple lieu propice à l’écriture?», telle était la question que se sont posée auteurs et assistants hier.
Animé par le militant de gauche et éditorialiste au journal Al-Quds Alarabi Sobhi Hadidi, syrien, le panel a réuni Maha Elhassan, Chahla Elagili et Sawssen Jamil Hassan, trois écrivaines contemporaines syriennes qui ont évoqué l’exil dans leurs écrits.
«Trois écrivaines avec chacune un angle différent pour aborder le sujet» déclare Sobhi Hadidi qui ne manque pas de rappeler l’œuvre d’Edward Saïd, notamment son «Esprit de l’hiver» écrit en 1984, pour introduire le thème du panel : le roman et l’exil».
«L’exil, dans l’œuvre d’Edward Saïd est à la fois condition historique et métaphorique. Provoqué par l’histoire, né d’une dislocation brutale, de l’arrachement à une terre et d’une émigration forcée, l’exil est aussi “esprit de l’hiver”, tristesse insurmontable, gouffre ou abyme, blessure incurable ou “vie mutilée” pour reprendre les termes d’Adorno, dont on sait l’influence prépondérante sur Saïd. L’expérience du déracinement et du délogement, de la perte d’une terre et d’un passé, d’une souffrance dont il dit qu’elle est impossible à banaliser hante son œuvre et sa pensée. Mais l’exil est aussi métaphorique parce qu’il est la condition même de la créativité et de l’intellectuel, toujours critique et dissident pour Saïd».
Laetitia Zecchini (CNRS)
Des formes d’exil, il y en a tellement. «On peut être exilé de sa patrie comme on peut l’être de la société», a précisé Sawssen Jamil Hassan.
Pour elle, l’époque actuelle verra certainement naître de nouveaux modèles de romans d’exil.
«S’éloigner du pays est une vraie souffrance surtout à notre époque. Les moyens de communication ont fait que l’exilé assiste en temps réel à ce qui se passe chez lui, voit la destruction, l’errance… la mémoire est troublée» nous confie l’auteur de «Chemise de nuit», roman qui aborde la violence et les divisions qui touchent la Syrie et la société syrienne.
En même temps, et selon la romancière Chahla Elagili, «l’exil constitue un espace idéal d’écriture vu l’absence de racines à l’endroit initial et une présence de racines fragiles au nouvel endroit dans lequel se trouve l’exilé»... «C’est un double privilège», assure-t-elle.
L’exil est aussi un statut qui donne à l’écrivain du recul, lui permettant d’avoir une lecture critique en usant de la comparaison entre deux situations (passée et actuelle). Il lui permet également de «déconstruire le modèle autoritaire qu’il a fui et de l’analyser de façon rationnelle».
L’auteure de «Un ciel proche de chez nous» a abordé la question du genre dans l’exil à travers son discours puisque la femme exilée fuit aussi l’autoritarisme et le patriarcat.
«Les femmes se libèrent en exil» nous dit-elle et font face à leur désir de liberté, liberté qu’elles revendiquaient auparavant.
Violence de la langue, langage cru et direct, rythme différent, la littérature de l’exil est particulièrement nihiliste et renferme son lot d’autoflagellation telle que dépeinte par la jeune écrivaine.
Pour Maha Elhassan, romancière qui vit à Paris depuis 13 ans, l’exil peut être linguistique et psychologique. Elle, qui était Kurde en Syrie, Syrienne en France et Française en Hollande, pensait avoir trouvé un équilibre quand éclata, en 2011, la révolution syrienne.
Son roman «Le métro d’Alep» fait référence à sa patrie et à sa terre d’asile, la France. «Il n’y a pas de métro à Alep, le métro fait référence à Paris» explique-t-elle.
Cette station de métro, synonyme de mouvement, de transition est un espace fantôme où toutes les personnes tombent, où l’esthétique se mêle à la douleur. Elle la situe entre 2004, date à laquelle elle a quitté la Syrie et 2017.
La mémoire de l’exilé ne s’adapte pas toujours à la réalité. Maha Elhassan garde en tête la Syrie de 2004 et estime que sa patrie actuelle est l’écriture.