L’amas ardent, un conte tunisien moderne et réaliste

L’amas ardent, un conte tunisien moderne et réaliste

Partager

Du combat d’un apiculteur contre les frelons géants qui sen prennent à ses abeilles naît une quête. Une quête qui consiste à rétablir l’équilibre en repoussant cet ennemi. Le frelon est un monstre qui est parfois bien réel et qui revêt parfois un aspect métaphorique. N’est-ce pas le rôle du monstre dans les contes et les mythes d’être hors normes et de symboliser le chaos ?

 

Toutefois, si l’histoire se déroule parfois dans l’ambiance d’un conte, l’amas ardent n’a rien d’un mythe. Le roman s’inspire profondément d’un vécu tunisien très contemporain et réaliste que l’écrivain dépeint et critique usant, entre autres figures de style, de l’ironie.

 

Doublement primé en Tunisie par le Comar d’Or (2009 et 2017) Yamen Manaï est un jeune romancier tunisien dont les précédents livres ont déjà révélé les talents de conteur.

 

Dans la sérénade d’Ibrahim Santos, publié aussi dans les éditions Elyzad, l’auteur ridiculise les régimes totalitaires sud-américains tout en s’inspirant de la réalité tunisienne. Écrivant son dernier chapitre alors que la révolution débutait, il espérait dans sa préface que « la montagne n’accouche pas d’une souris ».

 

Le voici dans « L’amas ardent » qui critique à sa façon le tournant pris par les choses au lendemain du 14 janvier. Au fait, de quoi la montagne a-t-elle accouché ?

 

Le peuple chasse « le Beau » et doit le remplacer par voie de suffrage universel. Du coup, à Nawa, les villageois ayant toujours vécu à la marge se voient hissés au rang de citoyens qui doivent aller aux urnes, des citoyens « avec des devoirs et sans droits » tels que les décrit Yamen Manaï.

 

Et c’est dans ce même village de l’arrière-pays que le Don vit en élevant ses abeilles qu’il appelle « ses filles ». Loin des humains, qu’il fuit comme la peste, l’homme vit en paix jusqu’à ce que la réalité le rattrape.

 

L’histoire se déroule sur un fond de changements politiques nouveaux qui entraînent des métamorphoses au niveau du comportement des gens, alors que les transformations culturelles et socio-économiques sont absentes.

 

Entre les tracts d’une première caravane qui les invite à voter et qu’ils ne peuvent déchiffrer parce qu’illettrés et les cadeaux qui les appellent à choisir le « parti de Dieu », les Nawis sont perdus.

 

Les prêches fondamentalistes viennent colmater les brèches de la pauvreté et de l’ignorance. Le parti de Dieu progresse, poussé par le « Qafar » (nom d’un pays du Golfe dans le roman) et le résultat est un déséquilibre où tout bascule dans la violence.

 

Le frelon asiatique, venu d’un autre continent, dans les plis des cadeaux empoisonnés, tout comme la doctrine qui fait ravage dans le pays sont les deux facettes d’une même monnaie. La bête se réfugie dans la montagne, où des bêtes humaines ont également élu domicile.

 

À ce niveau, deux nouveaux personnages apparaissent, la filleule du Don et son mari universitaire, qui prennent la relève dans la quête et partent au Japon. Il faut ramener des reines qui savent combattre le frelon pour introduire les bons gènes codant pour les bons réflexes dans les ruches. Les abeilles japonaises ont leur stratégie pour venir à bout d’un ennemi qui fait cinq fois leur taille, elles le brûlent vivant (formant autour de lui un amas ardent). Tout comme la société tunisienne doit apprendre à développer une stratégie pour éradiquer le mal qui la ronge, un mal auquel elle n’est pas habituée : le terrorisme.

 

À coup de métaphores, Yamen Manaï, décrit une Tunisie où l’extrémisme étend ses tentacules partout, car il trouve un terreau favorable fait de misère économique et intellectuelle.

 

L’auteur utilise un schéma narratif classique qu’il décline en six parties : Le chaos, La discorde, La confusion, En aparté, La bureaucratie et L’aftermath. Faisant appel par moment à la digression pour remonter dans le temps et construire une image assez claire de son personnage central Le Don, il varie légèrement son rythme. La langue utilisée est simple et l’on y retrouve un champ lexical propre à l’apiculture. Les fils narratifs de ce conte moderne sont plutôt tissés avec adresse.

 

Le visage de la Tunisie se dessine doucement à travers le roman et on peut dire que le profil est assez ressemblant. Mais, les monstres que le héros combat sont-ils réellement un produit étranger, venu par accident dans les bagages d’un émir du Golfe ? La société tunisienne n’est-elle pas dédouanée dans cette histoire de sa responsabilité dans la prolifération de ce mal qu’est l’extrémisme ? Mal certes dû en parti à une idéologie née en Arabie, mais aussi incontestablement au conservatisme et au rigorisme d’une société qui se remet rarement en question.

Après la bataille finale, les questions persistent, les abeilles ont elles appris à se défendre ? Et la Tunisie, saura-t-elle le faire, le moment venu ?