Mai 1993, page 31 du Melody Maker, celle des chroniques de Singles tenue par Dave Jennings. « A tune with a view » de Bleed est single du mois, sont chroniqués Depeche Mode, Rage Against The Machine, Van Morrison, Smog et Stereolab. Quelque part enfouie, une chronique d’un groupe d’adolescents nommé Darlin »… Dave Jennings est cruel, c’est du Punk idiot ! “The two Darlin’ tracks are a daft punky trash…”. Jennings ne se rendait pas compte, il venait de baptiser le groupe qui, 25 ans après, allait être joué par l’armée française, le 14 juillet, devant deux présidents de la République.
Daft Punk sont-ils punk ? 20 ans après la sortie de Homework, il n’y a pas de doute. Punks comme deux adolescents expérimentant des sons, d’une manière primaire et instinctive. Chez les punks ça se passait dans un garage, chez DP dans la chambre à coucher, blindée de câbles, d’instruments, de boîtes à rythmes, de claviers. Comme des punks, un minimalisme assumé, du son brut spontané, une jeunesse incontrôlable.
Bien que le changement de nom de Darlin' à Daft Punk fut marqué par le passage du punk à la musique électronique, il y a une démarche dans la création de leur musique qui est restée la même. Elle est dans la lignée de deux groupes cruciaux. Pourtant, ils ne sont jamais cités en tant qu’influences de DP.
Au commencement, il y avait Neu ! Les Allemands de Düsseldorf avaient jeté les bases dès 1972. Précurseurs du Krautrock et à l’avant garde d’un son répétitif, acide et froid ayant inspiré la Cold Wave de Joy Division et le punk des Sex Pistols et des Clash. Puis, l’avant-garde s’est déplacée à New York. En 1977 sortait le premier album de Suicide, leur punk s’est façonné autour des boîtes à rythmes et des sons de synthé hypnotiques. L’explosif Ghost Rider qui ouvre le disque est le meilleur exemple.
À partir de là, une genèse était en cours, jusqu’au moment crucial où New Order avaient sorti l’épique Blue Monday en 1983, premier choc conciliateur entre rock et musique dansante, la rencontre du groove avec la New Wave. L’acid House est parti de là pour ne plus s’arrêter, de Chicago à Berlin, de Manchester à Detroit, en passant par Londres et Ibiza.
Et Paris dans tout ça ? Début des années 90… rien, aucun fêtard ou raveur normalement constitués ne songe à y mettre les pieds. Elle attendait son Messie, elle en a eu deux. Chez DP, le cursus fut aussi atypique qu’exceptionnel : deux jeunes adolescents qui se cherchent, qui cherchent un style, qui essayent de fabriquer leur musique avec les moyens de bord comme on prépare un plat frigo. Au départ, des essais au son très punk sous le nom de Darlin »… Un duo qui se cherche, mais qui ne trouve pas. Et puis, ils ont commencé à s’intéresser à la scène musicale de Detroit et de Chicago.
Puis au hasard d’expérimentations et d’essais, le déclic s’est produit avec un sample de David Bowie. Un fragment pioché dans Starman sert de point de départ d’un titre : Untiteled 18 voit le jour, tout le son de DP vient de là. Ils venaient de trouver leur voie.
La mayonnaise prend, dans la foulée, le titre Da Funk naît comme une évidence. À partir de là, tout s’est passé très vite : une démarche minimaliste combinée avec un cœur débordant de groove. Et puis, on prend les ciseaux, on coupe chez Barry White, Billy Joel, Karen Young. Les titres s’enchaînent, magiques, explosifs ! Il s’est créé avec Homework quelque chose d’extraordinaire qui a façonné un nouveau genre, comme un Nouveau Testament où de nouvelles normes étaient jetées. Chez DP, on se cache aussi, non seulement on porte un casque, mais en plus, des projets parallèles où l’on porte des pseudos comme Stardust ou encore Le Knight Club, où le son de Holiday on Ice ressemble à une déclinaison jouissive d’Around The World.
Il manquait une pochette culte, celle de Homework a été shootée dans la chambre de Thomas Bangalter, là où l’album a été enregistré, mixé et finalisé. Bricolage d’ados, son qui tue, à vingt ans, ils venaient, dans leur insouciance de façonner un nouveau genre, c’est peut-être ça, au fond, l’esprit punk.
