Ca fait pas mal d’années que le Hip Hop s’est imposé plus ou moins mondialement, comme le style de musique le plus populaire. Le genre est partout, il s’invite sur la discographie de Drake pour essayer de faire croire que l’ancien acteur de la série Degrassi est autre chose qu’une machine à hit calibrée pour faire danser les femmes et les filles en club, ou en featuring sur des singles d’artistes dites “Pop” pour essayer d’attirer un public qui n’est pas son coeur de cible. Je pense par exemple à Taylor Swift qui invite Kendrick Lamar sur Bad Blood mais je pourrais vous citer beaucoup d’illustrations pour ce phénomène qui ne date pas d’hier.
Tout ça pour vous dire que le hip Hop s’est imposé comme le style de musique populaire par excellence.
Alors du coup qu’en est-il de notre pays, la Tunisie ? Pays que j’ai quitté pendant une dizaine d’années et que je retrouve avec beaucoup de curiosité et de questionnements, surtout concernant l’évolution de la scène locale. Et bah la réponse n’est pas si simple.
D’abord, il faut regarder la réalité en face. La Tunisie tente de maintenir coûte que coûte une image puritaine, que ce soit dans sa législation ou dans la mentalité de façade ambiante, ce qui n’aide pas un genre de musique comme le Hip Hop à se faire une place. C’est pas évident de réussir à faire circuler sa musique quand on ne peut pas vous diffuser à cause de la vulgarité de vos textes. Ce qui n'empêche pas les artistes de se faire connaître via un circuit de diffusion indépendant, que ce soit via les plateformes comme Youtube ou Soundcloud ou encore via des concerts, pour les plus populaires d’entre eux.
Le Hip Hop local est extrêmement populaire en Tunisie. J’ai eu l’occasion de le constater à travers différents live ou via les compteurs de vues des plateformes de streaming. C’est un genre de musique qui est chez nous depuis les années 90 et qui n’est pas prêt de bouger, même si le paysage médiatique ne reflète malheureusement pas cette réalité. Mais résumer ce manque de visibilité à des contraintes législatives et morales ne serait pas tout à fait de bonne foi, et là on va parler de ce qui fâche.
Des débats sur ce qu’est le Hip Hop y’en a plein, et si j’étais modeste je vous dirais que je n’ai pas la prétention de répondre à cette question à moi tout seul. Le truc c’est que ma modestie et ma prétention se battent en duel chaque jour et c’est pas souvent que ma modestie gagne. On aura beau dire que le plus important c’est le flow du rappeur ou le texte, le fait est que le Hip Hop est un style de musique, donc le plus important c’est la musique en fait.
Un gars comme Eminem qui a la capacité de faire rimer n’importe quoi avec n’importe quel mot, se retrouve à avoir une des discographies les moins importantes de l’histoire de la musique, malgré tout le talent qu’il déploie pour parler de sa mère, sa fille, son ex femme ou ses problèmes d'addictions. Eminem peut sortir demain un album où il rappe sur un beat fait à partir de bruits de flatulences, les gens l’écouteraient quand même, tant son talent compenserait les prods horribles. Par contre, ça n’en fera jamais de la bonne musique. Et c’est le souci principal de la scène Hip Hop en Tunisie pour moi. Popularité n’est pas, et ne sera jamais synonyme de qualité. Je vais essayer de développer ma vision en ne citant pas de noms. Même si j’adore tirer sur les ambulances, le but ici n’est pas de pointer du doigt tel ou tel artiste médiocre mais plutôt au contraire, de me servir de leur échec pour pouvoir vous parler d’artistes que j’aime bien.
J’ai la trentaine, donc mes souvenirs avec le Hip Hop en Tunisie remontent à une période où le style était un moyen d’expression engagé, utilisé pour essayer de commenter un quotidien pas vraiment très rose. Le genre trouve son origine chez les classes populaires, mais si en plus on transpose ça dans un pays qui subit la dictature, je vous laisse imaginer la pertinence et la nécessité de la chose. Cet engagement c’est précisément la route que va essayer de continuer à suivre le rap de la période de la révolution en Tunisie. Autant avant on pouvait rigoler en voyant des rappeurs tunisiens en vidéo sur le net dont le talent n’était pas à la hauteur de l’ambition, pour rester poli, autant après la révolution ça devient un festival tragi-comique. L’engagement politique et social devient prétexte à sortir de la mauvaise musique. Ce que je peux comprendre pour deux raisons. La première c’est que la musique ne devient qu’un support à messages dans ce contexte d’urgence. La deuxième, c’est que nos émois politiques ont eu lieu au début des années 2010. C’est à dire à la toute fin d’une période globalement horrible pour le Hip Hop US et qui n’a trouvé une forme de rédemption musicale, uniquement grâce à des artistes comme Pharrell Williams. Quand on sait que le Hip Hop US est le plus influent au monde, bah ça ne pouvait pas bien se passer chez nous.
Au moment où j’écris ses lignes nous sommes en 2020. Dix ans sont passés depuis ces balbutiements révolutionnaires nécessaires mais fébriles. Et force est de constater que les choses ont changé, que les fleurs ont fané, et que le temps d’avant, c’était le temps d’avant.
On est loin d’avoir une liste longue comme le bras d’artistes Hip Hop qui non seulement cherchent, mais réussissent à faire de la bonne musique. Cependant, aujourd’hui on en a quelques uns et j’aimerais vous orienter vers mes préférés si le style vous plait.
Je vais pas m’étaler sur les qualités de ces artistes et de ce qui les différencie des autres, mais pour moi ils sont importants et nécessaires. Ils sont une lueur d’espoir dans un pays où la scène indépendante a quasiment disparu.
Allez écouter 4lfa qui brille par son énergie, sa sensibilité et sa sincérité. Sa musique est très cool et le gars est un monstre sur scène. Ne ratez pas un de ses lives si vous avez l’occasion, vous passerez un bon moment.
Allez écouter Popytirz, qui à l’image de plein artistes intéressants de cette période, n'hésite pas à faire cohabiter le Hip Hop avec d’autres genres musicaux. Ses prods sont très soignées, elle a très clairement une patte à elle et son style et très identifiable.
Enfin allez écouter KOAST qui pour moi a été un véritable choc. J’ai l’impression que la Tunisie a enfin son Erykah Badu. Enfin si Erykah Badu en plus de chanter divinement, rappait comme une thug sur des prods allant de la trap à une espèce de boom bap moderne qui ne laisse pas indifférent. Je pourrais vous en parler des heures mais je suis pas objectif et j’ai déjà assez causé.
Bref, allez écouter un peu ce qui se fait chez nous au delà des artistes dont je vous parle. Si vous prenez la peine de faire le tri dans cet océan où le mauvais son pullule, vous trouverez surement, au mieux votre bonheur, au pire la prochaine vidéo drôle que vous partagerez avec vos amis.