Avec la semaine de la mode (bil 3arbi, fashion week) qui vient de se terminer à Paris, avec des Tunisiens au menu, il est bon d’évoquer pour nos millions (au moins) de lecteurs les liens quasiment ataviques entre le textile et le sport. Certes, certains salafistes de la gymnastique regretteront l’époque pure et originelle où les jeunes grecs anciens s’exaltaient physiquement dans le plus simple appareil. Nous leur répondrons que du coup les femmes n’avaient pas le droit (sous peine de mort) d’assister aux Jeux olympiques, que personnellement je ne recommande à personne de faire du vélo ou du cheval d’arçon sans un minimum d’étoffe protectrice et que Ribéry ou Gonzalo Higuain, déjà habillés, faut être endurant pour tenir le choc visuel donc gardons les habillés -juste ce qu’il faut.
Spornographie
Notez que du sport nudiste serait réalisable en Tunisie, puisqu’après tout nos compétitions sportives, football en tête, revêtent un caractère pornographique qui les fait interdire aux moins de 18 ans. Mais bon, on a déjà comme saveurs folkloriques des supporters qui se battent entre eux alors même que leur équipe mène tant au score qu’au classement, des techniciens qui s’insultent en direct à la télévision, des joueurs qui insultent le public en plein match, des dirigeants qui se battent en direct à la télé, des journalistes qui se félicitent qu’un président de club soit occupé à faire relaxer son public arrêté par des forces de l’ordre elles aussi au diapason… Que tous ces gens n’aient aucune pudeur n’empêche pas que ce serait encore pire sans vêtement, donc ne décourageons pas plus encore les rares passionnés de sport qui restent chez nous, et qui bientôt n’auront même plus ni cité olympique ni Belvédère, comme ils n’ont plus eu ni Gambetta ni parc Kennedy. Encore que, lorsque l’on voit les uniformes officiels de la sélection tunisienne pour la Coupe du Monde en Russie, le nu ne saurait être pire, et on en regretterait presque l’époque où les sportifs tunisiens se retrouvaient à l’aéroport direct de la fripe, qui en blouson « levré », qui en schlakas, qui en survêtement.
L’idée de génie de couleurs communes
Ça n’a pas toujours été le cas, bien sûr, et le fait est qu’en dignes compatriotes de Azeddine Alaya, les sportifs tunisiens ont souvent eu des tenues tout à fait correctes par le passé (on a même immortalisé leurs séances d’essayage en 1978 dans l’excellent « Un ballon et des rêves » de Mohamed-Ali Okby). Et puis, si vous vous êtes rincé l’œil en regardant la sympathique et rebondie Clorinda Grabar, pensez à son pantalon rouge, et pardonnez le fashion faux-pas de notre habilleur officiel ce printemps. Dites-vous qu’il y a quatre ans, en partance pour le Brésil, les Anglais, malgré leur Taylor is rich, Saville road et tout le toutim, firent encore pire… Et pourtant ce sont eux qui créèrent le lien entre textile et sport. Car cela semble évident aujourd’hui, mais à l’origine du football (1863 officiellement), il fallut une dizaine d’années pour penser à habiller tous les joueurs de la même manière. C’est comme de faire cuire sa viande, un jour un homo sapiens un peu plus sapiens que les autres a labonne idée, et tout le monde lui emboîte le pas.
Colorado Caribous – Coventry City, match très très nul
Il y a d’ailleurs eu pire, bien pire, au cours de l’histoire du football (et du sport en général) en matière de style. De la combinaison intégrale en spandex (sorte de croisement entre Spiderman et le Khomeyni-style) tenté par une sprinteuse à la levée de boucliers lorsqu’Arthur Ashe osa apporter de la couleur (sans jeu de mots) au tennis, les tentatives pas toujours heureuses esthétiquement furent légion, comme les débats à propos de ce qui convient ou pas… Mais il y a deux maillots de football qui ont le triste privilège de clore tout débat et de faire l’unanimité partagée quant au pire choix de couleurs ou de style : Coventry, qui à la fin des années 1970 osa un second maillot pour les déplacements de couleur… marron, genre chocolat au lait ou « direct », soit la seule couleur que personne n’arbore dans le monde en sport. Et les Colorado Caribous, dont le nom a lui seul est une monstruosité, et qui lors de son éphémère existence dans l’à peine moins éphémère NASL aux États-Unis osa un maillot à moitié marron et serti de franges. À côté de ça, la tenue de la sélection tunisienne, c’est Kenza Fourati par rapport à Freddy Krueger…
Nous reviendrons sur les liens historiques entre textile et football, mais pas avant une fashion-anecdote qui explique à elle seule l’importance du maillot, bien avant que Djibril Cissé ou Paolo Dybala ne défilent comme mannequins. Dans les années soixante du siècle passé, les clubs tunisiens s’étaient fait une spécialité de variété dans les tenues. Une équipe se trouvait à jouer un dimanche avec des maillots rayés, le suivant avec des maillots cerclés, d’autre fois en scapulaire, d’autre encore en quatre-quarts, à la rémoise, etc. André Nagy, lorsqu’il vint au Club africain, imposa une tenue unique, cerclée, comme elle avait existé par le passé et qui est restée fixée depuis en déclarant « J’en ai assez qu’on perde cinq minutes à deviner quelle est quelle équipe. » Un maillot, en sport, est comme un drapeau.