« Fantastic City », la dernière création du dramaturge et metteur en scène Ahmed Amine Ben Saad, est une pièce de théâtre qui a été jouée jeudi 16 mars, en avant-première au Mad'Art. Elle s’inscrit dans une approche de théâtre-récit, où le « Hakawati » ou « conteur », interprété par Sihem Akil raconte à un public « présumé enfant », l’histoire d’une révolution.
La narratrice joue peut-être son propre rôle, celui d’une actrice spécialisée dans le théâtre pour enfants. Ayant joué une pièce sur la révolution, elle se retrouve jugée pour avoir traumatisé ses jeunes spectateurs. Ainsi se construit « Fantastic City », du théâtre dans le théâtre, où l’histoire d’une pièce traumatisante pour un public est mise en scène pour en traumatiser un autre.
Ahmed, l’enfant révolutionnaire malgré lui
Il s’agit des aventures d’Ahmed, un enfant qui a vu sa cousine dévorée par un chien. Une histoire de vengeances et de déceptions, racontée sur un ton enfantin, en arabe littéraire et avec un accent qui rappelle les dessins animés vus par la génération des enfants des années 90.
Quel enfant de cette décennie ne s’est pas vu transformé par le générique de début du fameux « Sassouki » ? Un chant révolutionnaire, une version « pour enfant » de « l’Internationale » ? Sihem Akil s’en souvient, et le chante à plusieurs reprises sur scène.
« Relève-toi,
mets ta main, dans la mienne.
Relève-toi,
et protégeons ton avenir et le mien.
Relève-toi,
Rachetons notre terre avec le sang ».
« Je parle aux spectateurs comme on le fait avec des enfants. Nous sommes un peuple encore innocent, mais surtout abruti par les médias et les discours politiques depuis des années ». Ahmed Amine Ben Saad
Cet abrutissement, subi par les enfants quand on s’adresse à eux comme à des subalternes, on le retrouve dans cette pièce, et à cette remarque, le metteur en scène répond : « Je ne cache pas que j’utilise dans cette pièce ce que je méprise. Un ton paternaliste, qui prend son interlocuteur en otage. Et c’est justement ce que je dénonce et tire à mon avantage à la fois. » Et l’avantage que veut tirer Ahmed Amine Ben Saad est une lutte contre l’oubli, et un devoir de mémoire.
L’oubli, cette malédiction qui, une fois elle touche une société, l’isole, la marginalise et la plonge dans un trou noir de l’histoire.
« L’histoire du personnage principal est la mienne, il porte d’ailleurs mon prénom. Il est pour moi un travail contre l’oubli de ce qui s’est passé en Tunisie depuis 2008 jusqu’en 2012, à Siliana. Ahmed, c’est l’enfance, c’est la beauté, c’est le rêve et c’est les identités multiples ».
Mais Ahmed est aussi le personnage du poème mythique de Mahmoud Darwich et symbole de la résistance palestinienne et des causes justes. Pour Ben Saad, Ahmed c’est également la révolution tunisienne que personne ne réussira à faire avorter, et qu’on ne devrait jamais regretter.
La conteuse, avec son personnage fan d’Édith Piaf, nous chante « Non, je ne regrette rien ». Hymne à l’espoir, hymne à la révolte, et hymne à la mémoire des peuples. Un hymne à la folie, et aux excès.
Un texte, de la sincérité et des ambitions
Le théâtre-récit, le théâtre de narration, cette école du genre originairement italienne, est l’héritière de grands noms comme Baliani, Paolini et Curino, où le narrateur vient remplacer la figure du comédien-interprète. Et c’est dans cette école que s’aventurent le jeune dramaturge et son actrice.
Le résultat s’avère ainsi. Une pièce didactique, politique et engagée. Une pièce surtout basée sur le texte au détriment des composantes scéniques, un discours monotone par moment, et quelques pauvretés sémantiques, certes, mais Fantastique City reste un travail de recherche sincère, une « avant » avant-première, comme l’assure le metteur en scène.
mso-bidi-theme-font:minor-bidi;mso-ansi-language:FR;mso-fareast-language:FR;
mso-bidi-language:AR-SA">Un travail d’affinage, de recherche et de réécriture est prévu, afin de donner à cette pièce une forme esthétique et un travail scénique qui soient à la hauteur de la sincérité des artistes, de leur bonne volonté et de leurs engagements sociopolitiques.
Photos : Karim Kamoun.