Sa voix limpide a épousé les valeurs et les causes qui l’ont influencé au cours de sa jeunesse, notamment à l’université où sont nés les mouvements de contestation dans les années 70.
Dans les années 80, Ezzine Essafi est devenu une sorte d’icône tunisienne de la chanson contestataire à l’instar des groupes Al Bahth al-Moussiqi et Ouchak al-Watan.
Peut-être que son père marin et mélomane lui a transmis l’amour de la mer et les souffrances de ceux qui la prennent pour gagner leur pain quotidien quand il a chanté la mer « Bahara ».
Peut-être aussi que sa passion pour les voyages lui a inspiré « Bint el Gamra », la Fille de la lune, tombée amoureuse d’un étranger ou alors est-ce le fait de se sentir parfois étranger chez-soi ?
Toujours est-il que sa sensibilité exacerbée et ses textes contestatires ont formé ce mélange aigre-doux tellement unique.
Chanteur, cinéaste amateur et professeur d’anglais, sa production musicale était continue mais rare.
À son décès le FIFAK (Festival international du film amateur de Kélibia) lui a rendu hommage en rassemblant ses amis qui ont repris ses chansons, lui, qui un an auparavant, animait le cinquantenaire de ce festival emblématique de Kélibia.
Sa formation à la musique qui s’est faite dans la maison de jeunes de Kélibia était pourtant classique, ne laissant probablement pas présager ses choix musicaux et son engagement, venus plus tard. Sa voix s’est distinguée l’emmenant dans des concours nationaux et internationaux.
Fan de Cheikh Imam et de Marcel Khalifa, il dit avoir chanté Guevara plus de fois que son interprète original. Mais il n’en aimait pas moins Om Kalthoum et le tarab mashriqi (oriental) et chantait souvent « Hayrana léh » de Leila Mourad.
En 1984, quand le cheikh était de passage en Tunisie, Ezzine eut l’occasion de jouer devant son idole « korsi el bey ».
Ses copains nous parlent de sa maison toujours ouverte aux amis et artistes, comme un relais, un incontournable à ceux qui passent par Kélibia. Ils nous décrivent quelqu’un de discret, de sérieux et d’humble. Attaché à la famille, il aimait cependant voyager et se considérait citoyen du monde.
Ezzine Essafi est une voix libre qui a transcendé la répression, défiant les sanctions jusqu’à un certain 7 juin 2015. L’artiste est parti à la même date que celui qui l’inspirait tant, le Cheikh Imam.
“L'œuvre de l'artiste survit elle-même à son auteur comme un type que les générations se passent, imitent et perfectionnent, comme un élément nouveau dans lequel l'esprit humain aime à se reconnaître et à se mouvoir” Louis Auguste Martin.
L’œuvre d’Ezzine Essafi survivra aussi. Ses collaborations avec Adam Fethi, Chedly Khomsi, Hamadi Lagimi ont donné naissance à des inoubliables qui constituent un bel héritage pour la musique tunisienne.