L’art, l’expression artistique, l’esthétique de la douleur, mais aussi les séquelles des violences subies par les femmes, par leurs corps après une agression, un viol étaient au cœur d’un panel, le 9 septembre dernier à Chouftouhonna.
Le festival international d’art féministe a pris l’habitude de traiter des sujets en rapport avec le corps des femmes et ce fut le cas samedi, où des historiennes et artistes sont intervenues. Dans leur discours, Marta Bellingreri, Alicia.. et Erin Helfert ont abordé le thème de l’expression artistique et de son rapport aux femmes et aux violences faites aux femmes.
L’expression peut être un message subversif qui redéfinit le rôle de chaque genre dans l’espace public ou privé, il peut aussi constituer une sorte de thérapie permettant aux victimes de s’exprimer ou s’exprimer leur état d’âme. Mais l’expression artistique peut aider certaines artistes à survivre, comme Erin Helfert.
Erin Helfert est une spécialiste du genre, elle travaille sur les droits des femmes, les injustices économiques qu’elles subissent et n’imaginait pas devenir un jour l’objet de ses propres recherches. Tout a basculé un jour de janvier 2009, quand elle était au Maroc et qu’elle a subi un viol.
Au départ, Erin s’est concentrée dans son exposé sur la différence dans le traitement et l’illustration des violences entre artistes hommes et femmes. Les femmes se penchent plus sur l’aftermath, elles soulignent la vie après l’agression.
Elle parcourt des tableaux d’artistes femmes, des installations d’activistes jusqu’à ce qu’elle arrive à son propre travail, son expérience avec le viol. Son procès, son aftermath, sa vie après…
Erin revendique le droit de se reconstruire, chose qu’elle a faite à travers l’art et l’expression artistique. Elle a d’ailleurs tenu le jour même une performance « Rite de passage », une installation sonore où elle reprend des parties audio de son procès, de son témoignage, combinées à la musique de Nina Young. Ce procès qui a eu lieu au Maroc, « pays qui ne considère pas le viol comme crime violent » dit-elle. Le procès a duré 5 ans et durant 5 années consécutives, Erin a dû se battre pour sa défense devant des juges hommes, dans un tribunal où il n’y avait aucune intimité, où tous les détails intimes étaient révélés sans considération pour la dignité ni pour l’état de la victime et où elle devait s’exprimer dans un micro relié à des haut-parleurs. Les affaires liées au viol sont traitées dans un tribunal plein au même titre voire, à moindre mesure, passant après les vols, les disputes, le vandalisme.
Elle a fini par gagner son procès, le violeur est resté en prison, mais à l’issue, elle n’était plus la même personne.
La personne brisée qu’elle était, la survivante, sortie du ventre du loup qui l’a dévorée, comme dans la sculpture "Rapture" de Kiki Smith, a « changé les équilibres », « redéfini cet espace patriarcal » qu’était le tribunal et « renégocié le pouvoir ».
Son travail n’est pas uniquement sonore, Erin Helfert, a utilisé des vêtements et sous-vêtements avec l’ADN de son agresseur pour une installation « Mon corps est un champ de bataille » où elle a disposé ses vêtements à travers des articles de commerce…
L’expression artistique qu’elle considère vitale lui a permis de réclamer son corps et de briser le cercle vicieux de la victime en exprimant sa peine, un processus qu’elle estime nécessaire pour guérir, pour survivre, pour renaître. Erin a obtenu le premier prix dans la catégorie Arts scéniques, à l’édition qui vient de s’achever de Chouftouhonna.
Crédit photo cover : Chouftouhonna