El Seed, ou Le Cid. C’est dans l’œuvre de Corneille, lue à l’âge de 16 ans, que l’artiste, de son vrai nom Faouzi, a trouvé son surnom. Il suffit parfois d’une crise pour que surgissent les réponses aux questions qui nous obsèdent. Pour El Seed, c’est l’indémodable « qui suis-je ? » qui l’a mis face au mur.
Né dans les années 80, de parents Tunisiens, il grandira dans une France où les mouvements antiracistes comme « Touche pas à mon pote » et « La marche des beurs » prennent de l'ampleur. À cette époque, le Crew MAC posait ses premières fresques sur les murs parisiens et Suprême NTM rappait :
« Le monde de demain, quoi qu’il advienne nous appartient, la puissance est dans nos mains... ».
La puissance était réellement entre les mains du jeune Faouzi, qui se sentait apatride : ni Tunisien ni Français,
« Je suis né en France. À l’adolescence, je ne me sentais pas Français, parce qu’en France, on me le disait, et pas Tunisien, parce qu’en Tunisie, on nous appelait les “chez nous”, à un moment j’ai cru devoir choisir, c’est ainsi que j’ai décidé de revenir vers mes origines à travers la langue. »
Entre des vacances à Gabes et un quotidien à Paris, il s’intéressait peu à peu à la langue arabe. Il prendra des cours pour enfin lire son premier mot sur l’enseigne d’un pressing : « Ghassela ». Renaissance identitaire ? Enfin presque. Il a continué avec des cours du soir intensifs, où il a rencontré un calligraphe qui a refusé de lui enseigner son art. C’est ainsi, grâce au free style au bout du graff que El Seed naîtra,
« Il ne pouvait pas me donner de leçons, parce que personne ne voulait le faire à l’époque. Ayant commencé le graffiti, je me suis mis à copier de grandes œuvres de la calligraphie arabe, en ignorant les règles, et c’est ainsi que sans le savoir, j’ai développé mon propre style. “
Le Calligrafitti est le mélange de deux cultures, l’une occidentale, l’autre arabe ; deux styles, deux nationalités, qui, au lieu de s’affronter, s’épousent sur les murs. Dans chacune de ses œuvres, El Seed réconcilie les deux mondes : ‘Parce que je fais de la calligraphie arabe, les gens pensent que mes influences sont arabo-musulmanes, ce qui est faux. Mes sources d’inspiration sont diverses, elles viennent de la littérature anglaise, française et sud américaine. Je ne veux pas être enfermé dans une boîte, je touche à toutes les cultures, et tous les matériaux, comme la sculpture, qui est une véritable déclaration d’amour à la calligraphie. C’est en partant de la phrase de Cocteau : ‘Il n’y a pas d’amour, seulement des preuves d’amour’, que je me suis dirigé vers elle’.
Dans les sculptures d’El Seed se croisent Kabbani et Cocteau, les vers du poète syrien parlent d’amour malgré le temps qui passe, et c’est l’amour pour son art que El Seed matérialise en 3 D.
Ses sculptures sont comme un méli-mélo de mots couleur rose fuchsia, qui jaillissent hystériquement dans l’espace. Avec lui, les murs ne se contentent plus d’écouter, ils se mettent à parler.
‘‘Déclaration’ est un hommage à la calligraphie. La sculpture est une évolution, je voulais rendre hommage au médium que j’utilisais ; là je suis en train de finir mon livre, je réfléchis à des installations, je travaille aussi sur la mise en scène d’un spectacle, je veux vraiment étendre la calligraphie au-delà des murs et des toiles. ‘
Il est indéniable qu’El Seed a inventé sa propre écriture, sa propre identité artistique. Il a sauté par dessus des murs frontaliers, en inscrivant son art dans le multiculturalisme à une époque où le multiconflictuel s’épanouit et gagne les pays du nord et du sud :
‘Je suis très alerte, mais j’essaye de ne pas ‘être’ une réponse à tout ce qui se passe, on a une humanité qu’on oublie parfois. Je ne vais pas faire une œuvre spécialement en rapport à un événement, je veux que ça reste spontané, et qu’à travers mon travail les esprits s’ouvrent au monde et à la différence’.
Si la réponse est politiquement ‘light’, les lieux que El Seed choisit ne le sont pourtant pas, comme la fresque géante ‘Perception’ dans le quartier Manshiet Nasser en Égypte, un des quartiers les plus pauvres du Caire. À travers cette œuvre sur 50 bâtiments, l’artiste change la sémantique urbaine du
‘Quartier poubelle’. L’œuvre anamorphique représente la citation d’un évêque copte Saint Athanase d’Alexandrie : ‘Toute personne qui veut voir la lumière du soleil doit s’essuyer les yeux en premier’. À Rio, il pose son canevas sur le toit d’un bâtiment à la favela Vidigal, illustrant une citation de Gabriela Torres Barbosa poète qui a exhumé les mots des pauvres gens :
” You forgot how to love your people,
to love your country,
country of the poor,
country of the black.”
La calligraphie est pour El Seed, ce que Chimène est pour Le Cid. L’amour, toujours, sur fond de guerre (identitaire), et comme le dit un proverbe espagnol : ‘Peinture et bataille ne sont belles qu’à distance’, parce que la meilleure manière de regarder les calligraphies de El Seed, est de les admirer perché en haut de ses lettres.
Le 11 mars dernier, le graffeur franco-tunisien annonçait, sur instagram, qu'il était lauréat de la 14ème édition du Prix UNESCO-Sharjah pour la culture arabe avec l'artiste égyptienne Bahia Shehab. Créé en 1998, ce prix récompense chaque année deux lauréats – personnalités, groupes ou institutions – ayant œuvré, par leur travail et leurs réalisations exceptionnelles, à la diffusion d’une meilleure connaissance de l’art et de la culture arabe. La remise des prix aura lieu en avril à Paris.