De quoi les Radiohead sont-ils le nom ?
Le documentaire de Benjamin Clavel, « Le monde selon Radiohead », produit cette année par Arte, tente de répondre à cette question en 52 minutes et en convoquant écrivains, musicologues, philosophes, biographes etc…
Car l’affaire Radiohead c’est du sérieux. Le groupe, on le sait, ne fait pas dans l’optimisme, ni dans le consensuel. Prenant à chaque fois ses distances avec le système et avec le show business qui n’est qu’une expression sophistiquée du consumérisme ambiant.
Dans ce documentaire d’une facture très classique qui balance entre l’enquête et le portrait, tout part d’une question : Quelle est la philosophie du groupe britannique ?
Revenant à chaque fois à Tom Yorke, poète écorché en figure de proue, et porte étendard, les références intellectuelles du groupe défilent. Elles ont pour noms : Noam Chomsky, Naomi Klein ou Georges Orwell…
Une véritable ligne de front se dessine. En ordre de bataille contre l’avilissement de l’Homme. L’idée de la fabrique du consentement développée par Chomsky est centrale dans les textes du groupe. C’est à partir d’elle qu’ils critiquent les sociétés d’hypersurveillance, le mensonge politique, les médias, la technologie qui limite l’homme et facilite sa traque…
C’est quoi la fabrication du consentement ? C’est le dispositif mis en place par les médias pour manipuler les masses dans l’intérêt des élites gouvernantes…
Pas gai le monde vu par les Radiohead.
En multipliant les interviews et en remontant la discographie du groupe dans le respect de le chronologie, le documentaire relève les continuités thématiques et les ruptures dans les propositions strictement musicales.
Le succès planétaire de Creep, chanson tutélaire, a mis Tom Yorke et ses camarades, notamment les deux frères Greenwood, devant leurs responsabilités. Ce succès a terrifié Yorke. Le groupe risquait de devenir l’esclave de cette chanson.
Mais la sortie du dilemme se fait grâce à « The Bends », album de rupture. Le magnifique « Ok Computer » arrive, lui, dans un contexte d’euphorie avec l’arrivée de Blair au pouvoir. Lucide Radiohead appelle à la prudence. Le scepticisme du groupe parait dans ce fameux refrain « Bring down the governement they don’t speak for us » !
Mais comme le rappelle l’un des intervenants Radiohead n’est pas un groupe militant. Il ne propose pas de slogans. Il dit juste que nous sommes manipulés et qu’il reste des issues de secours. Même si la matrice semble étendre son emprise sur la totalité de notre quotidien…
Pour résister le groupe invente des circuits alternatifs de distribution avec le modèle de paiement libre. Charge ses chansons de messages véhéments et parfois agressifs jusqu’à l’excès quand Yorke répète plus d’une vingtaine de fois « fais attention », s’insurge contre la guerre en Irak et s’en prend à Trump qui ne cesse de déformer la réalité…
Musicalement le groupe opère un grand virage avec l’album Kid A ou ressortent les influences musicales les plus diverses. Elles vont de l’électronique expérimental, à la musique classique contemporaine, en passant par le jazz et particulièrement les fulgurances de Miles Davis…
Ce désir d’expérimentation est l’espace de liberté que s’arroge le groupe. C’est un signal envoyé au monde.
Existentialistes, ambivalents face à la technologie qu’ils décrient mais dont ils se servent pour développer leur musique, les Radiohead ne cessent de faire le constat des dérives matérialistes de nos sociétés et de nous appeler à devenir les sujets de notre propre vie…
Le monde selon Radio Head, est une très belle introduction à l’univers intellectuel et musical du groupe au 30 millions d’exemplaires vendus. La Pop se hisse une nouvelle fois au rang de témoin incontournable pour qui veut saisir le pouls de notre étrange époque !