Joseph Cotten, ami de longue date d’Orson Welles écrivit en apprenant sa mort le 9 octobre 1985 :
« Je sais ce qu’il pensait de sa mort. Il ne voulait pas d’enterrement, il voulait être mis en terre tranquillement dans un petit endroit en Espagne, il ne voulait pas de service commémoratif... »
Cotten refusa d’assister à l’hommage commémoratif public qui eut lieu le 2 novembre 1985 au Directors Guild of America de Los Angeles ; au lieu de cela, il envoya un court message qui se terminait par les deux dernières lignes d’un sonnet de Shakespeare que Welles lui avait envoyé à son dernier anniversaire : « Mais si pendant ce temps je pense à toi, cher ami, toutes mes pertes sont réparées et tous mes chagrins finis ».
Orson Welles a révolutionné le théâtre, terrifié une nation d’auditeurs de radio et a fait l’histoire du cinéma avec "Citizen Kane", considéré par beaucoup comme le plus grand film américain de tous les temps.
Bien que Welles n'était âgé que de vingt-quatre ans quand il a commencé à travailler à Hollywood, il s’était déjà fait un nom sur la scène théâtrale de New York avec ses adaptations des classiques de Shakespeare, Shaw ou Ionesco, saluées par les critiques qui soufflaient le chaud et le froid sur Broadway en cette première moitié du vingtième siècle !
Orson Welles connut un vrai succès populaire en 1938 avec son adaptation radio controversée du roman de HG Wells « La Guerre des Mondes ». Une émission qui avait en son temps provoqué le désarroi, voire l’horreur dans l’esprit de la population new-yorkaise.
Après avoir signé un contrat lucratif avec le studio RKO, en difficulté à l’époque, il cherchait un sujet incendiaire et provocateur pour son premier film lorsque son ami, l’écrivain Herman Mankiewicz, a suggéré de le baser sur la vie de William Randolph Hearst.
Hearst était un homme d’affaires notoirement innovateur, souvent tyrannique, qui avait construit son propre empire de journaux à l’échelle nationale aux états unis et possédait huit maisons, dont la plus remarquable était San Simeon, son château tentaculaire sur une colline sur la côte centrale de la Californie et qui n'était pas sans rappeler le "Xanadu" de Charles Foster Kane.
Après avoir assisté en janvier 1941 aux rushs de « Citizen Kane » encore inachevé, l’influente chroniqueuse de potins Hedda Hopper n’a pas tardé à transmettre la nouvelle à Hearst et à ses associés. Sa rivale et chroniqueuse en chef de Hearst, Louella Parsons, était furieuse à propos du film et de son portrait de Charles Foster Kane, le personnage de Hearst incarné dans un style grandiose par Welles lui-même. Hearst et ses alliés étaient encore plus dégoûtés de la représentation de la deuxième femme de Kane, une jeune chanteuse alcoolique qui avait de nombreuses similarités avec la maîtresse de Hearst, la comédienne Marion Davies. Il s’est dit à l’époque que c'était surtout cet aspect du film qui avait provoqué l'ire de Hearst.
Welles lui-même a qualifié plus tard le personnage basé sur Davies de « sale tour » avec lequel il espérait provoquer la colère du magnat… la rumeur voulant que le fameux « rosebud » (bouton de rose) sur lequel s’ouvrait la première scène du film, ait été en fait le surnom donné par Hearst à « une partie intime » de sa maîtresse Marion Davies !
Quelques jours seulement après la projection, Hearst a donné l’ordre à tous ses journaux de ne pas diffuser de publicités pour le film. Loin de s’arrêter là, il a également menacé de faire la guerre au système hollywoodien en général, condamnant publiquement le nombre d’« immigrants » et de « réfugiés » travaillant dans l’industrie cinématographique à la place des « compétences américaines », une référence à peine voilée aux nombreux juifs membres de l’establishment hollywoodien. Les journaux de Hearst s’en prirent aussi à Welles, l’accusant de sympathies communistes et s’interrogeant sur son patriotisme.
Les poids lourds de l'industrie du cinéma, qui étaient déjà mécontents de Welles à cause de son mépris déclaré pour Hollywood, se sont rapidement ralliés autour de Hearst. Louis B. Mayer de Metro-Goldwyn-Mayer a même proposé de verser 842 000 dollars à RKO si le président du studio, George Schaefer, détruisait le négatif et toutes les copies de Citizen Kane. Schaefer a refusé et menacé, en représailles, de poursuivre en justice les chaînes de salles de cinéma de Fox, Paramount et Loews pour complot après avoir refusé de distribuer le film. Quand le Time et d’autres journaux ont protesté, les chaînes de salles de cinéma ont légèrement cédé et ont permis quelques projections.
Nominé pour neuf Oscars, Citizen Kane n’en a remporté qu’un seul, l'Oscar du meilleur scénario, partagé avec Mankiewicz. "Citizen Kane" et son réalisateur furent pourtant hués à la cérémonie des Oscars de 1942. Schaefer a ensuite été licencié de RKO, Welles ne tarda pas à le suivre et le film finit par atterrir aux archives de RKO.
Il faudra vingt-cinq ans pour que "Citizen Kane" reçoive sa juste part d’attention, et finisse par être considéré comme l’un des meilleurs films jamais réalisés.
En 1987, les cendres de Welles et de sa dernière femme l’actrice Paola Mori, née Comtesse Paola di Girifalco et décédée en 1986, ont été inhumées à Ronda, en Espagne. Ils reposent tous deux dans un vieux puits transformé en sépulture, une dernière demeure couverte de fleurs sur le domaine rural d’un ami de longue date, le torero Antonio Ordóñez !