Vous êtes tous à chialer sur la fin de Game of Thrones ? A pleurer le mois saint parce que vous allez devoir attendre un an pour avoir la joie de consommer du feuilleton tunisien de nouveau ? Consolez-vous en regardant Les Rois Maudits, dont GOT s’inspire, et en songeant que si c’est pour avoir un nouveau Zankat El Bacha, un an ne sera pas de trop pour s’en remettre. Pour vous remonter le moral, fêtons ensemble le prochain anniversaire d’une autre série, comique celle-là. La plus populaire de l’histoire de la télé à ce jour (et selon certains, la meilleure), qui démarrait il y a un quart de siècle, allait durer dix saisons et dépasser régulièrement les trente millions de spectateurs (avec quelques pointes au-dessus de 50 millions, presque aussi bien que Misk en terme d’audience). Cette série, c’est Friends, qui est à la sitcom ce que les Beatles furent à la musique pop & rock.
Best Friends Forever
La comparaison pourrait faire hurler et nous sommes plusieurs à Misk à aduler les Beatles, mais quand on y pense, les points de comparaison sont assez nombreux. En plus d’être une série bien conçue, bien interprétée et bien réalisée, Friends, à l’instar des quatre garçons dans le vent, a fait exploser certains carcans qui existaient jusqu’alors. Et a ouvert des brèches pour les suivants, qui n’auraient jamais pu pousser plus loin sans cette ouverture.
« Nous allons être plus célèbres que les Beatles » (Matthew Perry)
Les Stones (ou les Who, ou les Doors) n’auraient pas osé autant sans leurs potes de Liverpool. Pas plus que Two Broke Girls, Mon oncle Charlie, ou même Will and Grace n’auraient eu d’audace scénaristique sans Friends. Ce parallèle avec les Fab Four est d’ailleurs entériné par Matthew Perry (Chandler dans la série) qui paraphrase la saillie très controversée de John Lennon (« nous allons être plus célèbres que Jésus ») -au moment de renégocier le contrat qui va faire des six acteurs les mieux payés au monde par épisode. Les Rembrandts, auteurs du générique, ne renégocieront rien, eux, et deviendront millionnaires en royalties -mais les acteurs de la série ayant dépassé le point de saturation refuseront d’entendre désormais la chanson en question (« I’ll be there for you »).
L’influence du feuilleton ne se limite d’ailleurs pas à la télé. Si vous lisez ceci en étant installé dans un salon de thé dont vous profitez du wi-fi en attendant qu’un serveur pas pressé vienne vous apporter votre ‘cappuccino crème fouettée’ avec saccharine liquide à 9.850 DT et pas debout au comptoir pour déguster un café aux pois-chiche à 800 millimes entre deux chauffeurs routiers, vous le devez en grande partie au Central Perk et à la mode du café-bobo lancée par la série. On se demande s’ils ne sont pas tunisiens plutôt que new-yorkais d’ailleurs, vu le temps qu’ils passent au café -lequel ne désemplit pas, même en plein jour.
Celle qui est une série pionnière
Pour en revenir au seul aspect télévisuel, Friends (qui a duré dix ans, dont une ou deux saisons de trop sans doute malgré une qualité moyenne assez relevée et une fin somme toute conventionnelle, à la différence d’autres séries-culte telles que les Soprano ou Seinfeld) est à sa façon une révolution. Avant, à l’exception de quelques feuilletons qui se voulaient délibérément trash (Married with Children étant le meilleur exemple) ou quelques séries britanniques, les héros de sitcom : ne boivent pas, ne fument pas, ne copulent pas, ne sèchent pas les cours ni le boulot, ne jurent pas, ne trichent pas (à tous les sens de ce dernier terme), ont une carrière en vue ou parviennent à dépasser le déterminisme social, sont immanquablement hétéros, ont parfois (parfois…) des copains d’un autre ‘groupe ethnique’ -mais attention, s’ils sont comme des frères, ils ne sont jamais beaux-frères, hein, pas de mixité au lit. Et s’ils osent commettre l’un des pêchés télévisuels en question, grand malheur à eux !!! Ils sont impitoyablement châtiés par la justice divine de la chaîne télé et finissent dévoyés, criminels, toxicodépendants, voire pire aux USA à savoir pauvres et sans plus aucun pouvoir d’achat. Friends change tout ça.
Parce que pour la première fois, comme dans la vraie vie, les personnages traversent tout ça. Sans pour autant être assimilés ou dépeints par les scénaristes ou réalisateurs comme des traînées, des parasites ou des nuisibles. Leur vie sentimentale (et sexuelle) est l’une des trames essentielles de la narration, la misère économique de certains d’entre eux et leurs déboires professionnels sont un ressort tragi-comique constant, le tabagisme, l’alcoolisme sont abordés, l’homosexualité -et même le changement de sexe- sont un fil conducteur (dès le premier épisode), ils ont des partenaires et amis de tous genres et de toutes les couleurs. Et malgré tout cela, la série est drôle, a du succès, les personnages sont sympathiques, et le nombre de vedettes qui y affluent pour participer est impressionnant. La porte est ouverte, les autres vont s’y engouffrer.
Celle qui vaut cent millions sur Netflix
Bizarrement, l’an passé, lorsque le catalogue Netflix a proposé Friends, la ‘génération millenial’ la (re)découvrant s’est lancé dans des critiques assez hallucinantes, la traitant d’homophobe, grossophobe, raciste ou sexiste. Oubliant un peu vite qu’avant qu’elle ne remporte une quarantaine de prix (Emmy et Golden Globe inclus) sur plus d’une centaine de nominations, le paysage audiovisuel était nettement plus encaissé en la matière. Leurs critiques, assez rapidement retombées, n’ont pas empêché Netflix de remettre cent millions de dollars sur la table pour continuer à la diffuser en 2019…
En fait, le reproche principal qui serait à faire, c’est que de jeunes adultes (au fil du temps devenus des adultes en plein) qui ont parfois du mal à joindre les deux bouts puissent se payer deux appartements aussi bien torchés en plein Manhattan… Ca, et le fait qu’Elle MacPherson n’apparaisse que pour cinq épisodes. Ou Brad Pitt pour un seul, selon les goûts.