Au début cette chronique consacrée à « Broken Flowers » de Jim Jarmush, j’aimerai faire un aveu :
J’ai de plus en plus de mal à me retrouver dans ses derniers films. Du moins dans ce qui semble devenir son nouvel univers où le fantastique devient la norme. « Only lovers left alive » et « The dead don’t die » ont signé, pour moi, un grand et malvenu virage.
Un virage qui rompt avec ce qui faisait la force et la fragilité du cinéma de Jarmush : le minimalisme chic, la mélancolie intello, la contestation par l’humour noir et le persiflage. Un cinéma où un sombre lyrisme épousait une poésie de l’instant présent et des hasards rédempteurs…
Cette verve portée par des compositions qui étaient autant d’hommages aux grands photographes et musiciens américains semble s’éteindre.
Du chic underground, le cinéma de Jarmush vire au mondialisé Snob…bien dommage pour ceux qui continuent de vibrer pour l’épure qui s’intitule « Stranger Than Paradise ». Chef d’oeuvre auquel nous avons consacré une précédente, et jubilatoire, chronique.
Sorti en 2005, « Broken Flowers » raconte l’histoire du quinquagénaire Don Johston qui essaie de remonter le fil tendu par un courrier anonyme qui lui apprend qu’il est le père d’un garçon fruit d’une relation qui date de plus de vingt ans. Ce fils, lui ajoute-t-on, est parti à sa recherche.
D’abord indifférent à la nouvelle, l’amorphe quinquagénaire dans son survêtement, va partir en quête, poussé par son voisin Winston, détective de dimanche, mentor infatigable et représentant, dans le film, du cinéma d’action hollywoodien puisque c’est lui qui « actionne » la silhouette lasse de Don Johston campé merveilleusement par Bill Murray. C’est du moins l’interprétation que propose Jean-Michel Frodon…
Don/Murray part donc au travers de l’Amérique à la recherche de sa progéniture perdue.
Et pour ce faire essaie de renouer avec les femmes qu’il a connues.
Chacune d’entre elles va lui permettre d’éclairer une facette de sa personnalité. Peu enclin aux épanchements, ce Don Juan sur le retour permet à Jim Jarmush de développer les éléments clés de son univers :
Le déplacement, l’errance, la quête intérieure et le mystère des identités et des relations. Mes films, dit Jarmush, ne cherchent pas à résoudre un mystère mais se construisent autour d’un mystère.
Ecrit en deux semaines et monté selon les désirs de Jarmush qui a pu garder le droit du Final Cut , Broken Flowers, n’est pas un film pensé. « Ce film vient de je ne sais où » déclare Jarmush.
Mystères de la paternité et de la transmission ?
On pourrait le croire.
Il y a bien sûr les références. A Truffaut, un peu à Cassavetes ou Jean Eustache à qui ce film est d’ailleurs dédié.
La silhouette trainante de Bill Murray jeté malgré lui dans le monde extérieur, après avoir coulé des jours heureux devant sa télévision, boite à images devenue son seul lien avant le monde et qu’il regarde d’un œil circonspect mènent le récit ailleurs. Vers l’allégorie, figure qu’affectionne Jim Jarmush…
De femme en femme, de Sharon Stone à Tilda Swinton, Don recolle les morceaux d’un passé plein de cassures.
Et Jarmush semble remonter vers le passé d’une génération qui n’a pas su apporter quelque chose des années d’agitation amoureuse, politique, artistique ?
La génération Jarmush est-elle une nouvelle génération perdue ?
La lassitude qui marque le corps de Murray dans Broken Flowers, qui ressemble étrangement à celle qu’il portait dans le très beau Lost in Translation de Sofia Coppola, raconte la rupture d’un lien avec le monde. L’impossibilité d’une histoire hors du fragmentaire. Une étrangeté plus proche du spleen que de l’inquiétude accablante…
Et c’est bien grâce à la poésie des fêlures qui habitent les fleurs brisées…