Baudelaire, 150 ans après

Baudelaire, 150 ans après

Partager

Baudelaire : « Le vrai Dieu », Rimbaud, « Le premier surréaliste », Breton, « Le plus Important des poètes » Valéry.

 

1867-2017, 150 ans depuis la disparition du dandy rebelle de la littérature française, j’ai nommé Charles Baudelaire et 160 ans depuis la publication des « Fleurs du mal ».

 

Marginal, en totale opposition avec les codes moraux de son époque, il a connu les dettes, les délabrements de santé, l’incompréhension familiale et une non-reconnaissance de son vivant ce qui lui a causé une profonde tristesse qui s’est traduite dans ces écrits.

 

Seulement deux de ces ouvrages ont été publiés de son vivant : les « Fleurs du mal » et « Les Paradis artificiels ».

 

« Ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences de l’esprit. » C’est en ces mots que le 5 juillet 1857, Gustave Bourdin décrivit les « Fleurs du mal » dans Le Figaro. Il a même évoqué un doute sur l’état mental de Charles Baudelaire.

 

Baudelaire a connu son premier succès avec la publication des « Fleurs du mal », succès vite entaché par un procès à son encontre ainsi qu’à l’encontre de ses éditeurs. Il est accusé d’outrage à la morale et aux bonnes mœurs et condamné à l’amputation de l’ouvrage de ces pièces essentielles ainsi qu’à des amendes. Ce n’est qu’en 1949, soit plus de 80 ans après sa mort, suite à une demande de révision auprès de la cour de cassation, que l’œuvre majeure de Baudelaire, les « Fleurs du mal » a été réhabilitée.

 

La maladie, l’abus d’alcool et de drogues ont abrégé la vie du poète qui s’est éteint à l’âge de 46 ans à Paris.

 

Deux autres ouvrages ont été publiés deux années après sa mort, en 1868, « Le Spleen de Paris » et les « Curiosités esthétiques ».

 

Baudelaire, le moderniste

 

Baudelaire est considéré comme moderne parce qu’il ne ressemble en rien aux poètes traditionnels, aussi bien sur le fond, avec les sujets qu’il aborde que sur la forme même de ses poèmes.

 

Dans un projet de préface, il avait dit : « Des poètes illustres s’étaient partagés depuis longtemps les provinces les plus fleuries du monde poétique. Il m’a paru plaisant, et d’autant plus agréable que la tâche était plus difficile, d’extraire la beauté du Mal ».

 

Il est celui qui a rompu le pacte poétique qui relie la poésie et la nature, il ne décrit pas la beauté de la nature et la femme aimée, mais développe des thèmes nouveaux, de façon nouvelle. Il a décrit la ville dans « Tableaux parisiens » alors que tous les autres puisaient leur inspiration dans la nature, il a également décrit la laideur quand les autres décrivaient la beauté comme dans « Les petites vieilles » :

 

« Ces monstres disloqués furent jadis des femmes,
Éponine ou Laïs ! Monstres brisés, bossus
Ou tordus, aimons-les ! ce sont encor des âmes.
Sous des jupons troués et sous de froids tissus

(...)

Honteuses d’exister, ombres ratatinées,
Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs ;
Et nul ne vous salue, étranges destinées !
Débris d’humanité pour l’éternité mûrs !”

 

Le modernisme chez Baudelaire s’est également illustré dans l’utilisation des poèmes en prose, comme dans le recueil “Le Spleen de Paris”, se plaçant ainsi parmi les premiers à utiliser la poésie en prose. Dans sa présentation des Œuvres complètes dans La Pléiade, Claude Pichois considère que Baudelaire est un pivot entre le passé et l’avenir et le décrit en ces mots : " le dernier classique et tout à la fois le premier moderne. "

 

Mélancolie et Spleen

 

L’œuvre du poète décrit souvent une lutte, un bras de fer entre l’aspiration à l’élévation et l’attirance pour la chute, il est celui qui décrit à merveille la mélancolie, les cauchemars, l’enfermement, le mal-être de façon générale, en un mot : Le Spleen.

 

À la manière de Dostoïevski, l’œuvre de Baudelaire est une polyphonie de voix incarnées par les personnages qui peuplent ses textes. Il se perd et fusionne dans l’autre pour trouver la voie vers une meilleure compréhension de soi. L’être mélancolique, subissant les ravages du Spleen qu’il était, se cherche à travers les autres pour essayer de trouver les voies de la vérité.

« Baudelaire traverse de nombreuses identités et s’engage dans de nombreuses oppositions en cherchant à transposer son “’moi”’, et ce ne sont pas toujours les mêmes ». Katre Talviste, La poésie estonienne et Baudelaire.

 

Un siècle et demi après sa mort, on continue encore à parler de Baudelaire, à lire Baudelaire, à chanter Baudelaire, à enseigner Baudelaire, à déguster ses vers et savourer ses mots !

 

Spleen IV 

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l’Espérance, comme une chauve-souris,
S’en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D’une vaste prison imite les barreaux,
Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

(…)

                                                      Charles Baudelaire