Il n’avait que 12 ans lorsqu’il connut Ali Chouerreb, pourtant, aujourd’hui, à plus de 60 ans, il se rappelle encore de ce bandit mythique. Les cheveux blancs, les yeux bleus clair et une cigarette au bec, il en parle avec tendresse, nostalgie. Ali Chouerreb, connu par tous, est devenu une figure incontournable de la mémoire collective tunisienne. Il est objet de tous les fantasmes, et suppositions. Son histoire non écrite donne l’occasion à certains d’imaginer des légendes autour de l’homme au « Zanar ».
Celui qui nous a parlé de Ali Chouerreb est un personnage à part entière, vivant cette décennie comme la chute de ce que fut le Tunis de l’époque : « même les bandits étaient mieux qu’aujourd’hui » ». Notre témoin, qui a souhaité rester anonyme, nous a décrit un personnage simple, bon, bagarreur, croyant et à la sexualité plutôt mystérieuse.
Ali Chouerreb et Jbel Sidi Guitouni
Jbel Sidi Guitouni n’est pas référencé sur Google, pourtant, cet endroit était le terrain d’Ali Chouerreb. Lui qui se déplaçait sans cesse au cœur de la ville, en a fait son QG. Il défiait ceux qui le menacent de venir le battre sur son terrain. Bagarreur, il était au rendez-vous à chaque conflit, son visage en porte les traces. Ses arcades étaient déformées par les coups de poing, ses lèvres éclatées, son nez cassé, il ne portait la chéchia que pour les grandes occasions. Il était entre « Bab Khadra, Lahfir, Halfaouine, Hamam Elrmid, il ne sortait de ce circuit que pour aller faire des bagarres. Par exemple, il lui arrivait d’aller à Malassine parce qu’il a entendu qu’on parlait mal de lui ».
Une famille matriarcale
Il habitait à Halfaouine, près de la mosquée Saheb Ettabaa, il avait une sœur, sa grande sœur qui protégeait toute la famille était celle qui dirigeait les affaires internes. Mais c’est sa mère qui avait un réel pouvoir sur lui. « Un jour les flics ont voulu l’attraper, évidemment ils n’y sont pas arrivés, ils ne pouvaient pas attraper Ali, c’est sa mère qui est venue, elle a discuté avec Ali, il est monté dans la fourgonnette sans dire un mot. Sa mère c’était tout... même quand il parlait de religion, parce qu’il était croyant, il citait le verset sur la mère et le paradis. “Entre une sœur puissante et une mère imposante, Ali Chouerreb avait tendance à défendre les femmes : ‘Une fois une femme enceinte est passée, un groupe d’hommes ont commencé à la siffler, Ali n’a pas hésité à aller les tabasser.’ Raconte notre témoin.
Quand on a posé des questions sur la vie amoureuse de Chouerreb et sur la place des femmes dans sa vie, notre témoin assure qu’il était très discret là-dessus. La vie intime d’Ali Chouerreb est un mystère, même si certaines rumeurs évoquaient sa sexualité ambiguë. On ne le saura jamais.
Alcool, bagarre et désintérêt
L’alcool était le dada de Chouerreb, dans son ‘Makhzen’rempli de moutons, il s’envoyait quelques verres, il pouvait aller au Bar de Nordine le Boxeur avenue de Carthage, ou le Tournant à avenue de Paris. Il était tenace, il devait avoir le dernier mot, sortir vainqueur, il pouvait revenir jusqu’à 30 fois face au même adversaire :‘C’était la force d’Ali, son souffle. Il pouvait être en sang et se relever pour reprendre la bagarre, ses adversaires finissent par fuir. Ils ne pouvaient pas faire face à l’entêtement d’Ali. ‘
L’argent n’était pas la priorité du bandit. Ce qui explique sa popularité, c’est le fait qu’il ne vendait pas de drogues, ne faisait pas de mal aux enfants : ‘avant, les bandits se respectaient, il y avait les vieux bandits plus forts qu’Ali, pourtant, ils ont coexisté, il n’y a jamais eu de problème entre eux. Le meilleur ami d’Ali, un bandit aussi, était si puissant que des politiciens ont fait appel à lui à l’époque. Tout ça n’existe plus, maintenant il n’y a plus de respect. »’
Ali est allé plusieurs fois en prison, c’était toujours le premier à sortir à l’ouverture des portes, il se mettait près des tables où on mettait les couffins. Il se disputait souvent avec les gardiens, qui avaient peur de lui. Même incarcéré, l’homme à la moustache faisait la loi.
La bagarre de trop
Nous sommes en 1976, un soir, au coin de l’avenue de Paris, un bar s’agite : le bar ‘Tournant’prés de la maison de la culture Ibn Rachiq. La bagarre de trop, celle qui tuera un bandit devenu iconique. Au cours de ce face à face, c’est suite à une chute, la tête fracassée sur le trottoir qu’Ali est mort. Son adversaire fera 20 ans de prison. 20 ans où il sera connu comme le tueur de Chouerreb. Les funérailles d’Ali ont été impressionnantes : ‘Il y avait énormément de monde à son enterrement, des vagues et des vagues de personnes venaient saluer pour la dernière fois Ali. Dommage que personne n’était là pour filmer un moment aussi historique dans la vie de Tunis.’
Ali Chouerreb, personnage iconique, encore mystérieux, ne cesse de nourrir l’imaginaire des Tunisiens. Son histoire, surtout l’absence de l’histoire, se fait sentir quand on essaye de découvrir la vie de grands noms tunisiens. Cette histoire, jamais écrite, est peut-être une partie du mal qui nous ronge. Ali Chouerreb, un bandit pas si méchant, sera le héros d’un feuilleton qui sortira prochainement, la preuve qu’il est devenu un personnage important de la mémoire collective tunisienne.