Invité pour l’inauguration du Centre International de Tunisie pour les civilisations à la Marsa, le grand poète et penseur syrien Adonis, a repris ce qu’il a présenté comme étant les idées maitresses de sa réflexion. Le socle conceptuel sur lequel se sont déployées sa pensée critique et sa poésie.
Intervenant après une série de mini-conférences ouvertes et modérées par le philosophe Mohamed Mahjoub, et qui ont essayé d’aborder les multiples facettes de l’œuvre adonisienne, l’auteur de Mihyar le damascène a estimé que sa réflexion tournait essentiellement autour des notions du fixe et du mouvant.
Cette aventure au cœur des textes fondateurs de la culture arabe et islamique, qu’il a inlassablement confronté aux exigences de la modernité et de la contemporanéité, l’a amené à poser un cadre où la liberté et l’individuation sont les invariables à l’aune desquelles il évalue de la pertinence et de la viabilité de toute proposition théorique ou pratique.
Adonis a insisté sur la centralité du questionnement renouvelé comme moteur de la pensée. Toutes les réponses a-t-il dit, sont, en définitive, contre la vérité. Une vérité qu’il a définie comme insaisissable, fuyante, multiple, impermanente…
C’est le dialogue qu’il faut privilégier car la vérité n’est pas le lieu de la poésie, ni du progrès…
L’affirmation a fait de nous, les arabes, des auteurs de poèmes et non des porteurs d’une expérience poétique. La rhétorique prenant le pas sur la pensée.
Sommes-nous un peuple de dialogue ?
Sommes-nous un peuple qui reconnaît la diversité chez lui pour prétendre la reconnaître chez l’autre ?
On devine la réponse d’Adonis. Elle est cinglante. Lucide.
Pour l’argumenter, il a entrepris une remontée de l’histoire. Une remontée au fil des intrigues et des enjeux politiques pour signifier la violence des conflits, et l’élimination de ceux qui braver les interdits et qui se sont écartés de la ligne…
La notion de tolérance, a-t-il estimé, est en elle-même problématique. Dans la tolérance il y a de la condescendance. Dans cette équation il y en a un qui se prétend supérieur puisqu’il détient la vérité et qu’il tolère l’égarement de l’autre. « L’Homme a besoin d’égalité, pas de tolérance… ».
Dans le grand silence de la pensée et après la mise à l’écart des philosophes, ce sont les poètes et les soufis qui ont maintenu vivace la flamme de la question.
Ces « refractaires » sont d’ailleurs honnis par l’orthodoxie parce qu’ils redéfinissent la foi autour de la notion d’amour.
Le mouvement, le changement, la subversion, la brûlure des questions, tels sont les termes qui reviennent dans cette magistrale conférence.
Ainsi, prise dans le mouvement de la vie, l’identité ne peut être considérée comme un héritage mais comme une constante invention.
« Notre identité est devant nous » a déclaré le poète. Elle n’est pas close, car, et comme le professent les soufis : « l’autre est une part constitutive de soi ».
« Je pourrai parler encore pendant des heures » a déclaré Adonis. Car il n’est plus question de se taire devant cette débâcle. « Nous sommes devenus des marionnettes aux mains de l’occident ».
Mais il nous reste la poésie. Qui devrait, elle, retrouver le chemin de la philosophie. Car la poésie, a-t-il dit, nous permet de nous connaître et de connaître l’autre.
Nous, on aurait pu voyager avec la pensée vivifiante d’Adonis pendant des heures.