L’année 67 est unique dans l’histoire du rock. Année charnière où les codes furent bouleversés. En 2017, des disques qui ont marqué toute une génération ont cinquante ans. C’est l’occasion pour nous de revenir sur certains. Le choix de cinq albums parmi des dizaines a provoqué des émeutes à la rédaction. Il était difficile de trouver un consensus. Les plus radicaux à la rédac ont boudé à cause de l’absence de « The Piper at the gates of dawn » de Pink Floyd. On a reçu une bouteille d’eau sur la tête pour avoir omis « Are you experienced » de Jimi Hendrix. Certains regardaient avec haine pour avoir zappé Love et le magnifique « Forever Changes » et nous avons évité une démission de justesse à cause de « Songs of Leonard Cohen ». Après tout ce marasme, il fallait emporter cinq opus cinquantenaires sur une île déserte. Verdict.
THE DOORS
The Doors
L’année 67 a été marquée par un tournant musical pour les groupes de l’époque, mais elle a vu aussi apparaître certains nouveaux, et parmi eux, la gifle des Doors. La puissance des Doors, c’est qu’un des meilleurs albums rock de tous les temps n’est pas conçu par un groupe… Rock. Robby Krieger était guitariste de formation classique, John Densmore était batteur de Jazz, Jim Morrison était un cinéaste qui avait l’ambition de mettre sa poésie en musique et Ray Manzarek claviériste inclassable. Ils commencèrent à jouer début 66 au London Frog à Los Angeles. Incontrôlables sur scène, Amphétamines et LSD aidant, ils finiront par être refoulés du club, et par la suite, virés aussi du Whiskey à Gogo. C’est grâce à Arthur Lee du groupe Love qu’ils signent chez Elecktra. Le résultat ? Un album félin, puissant, des envolées exceptionnelles comme sur Break On Through, ou encore Light My Fire, et puis une reprise de Kurt Weill et Bertold Brecht : Alabama Song. Et enfin, l’apocalyptique The End, mise en scène musicale et poétique unique et novatrice. Les portes s’étaient ouvertes, donnant lieu à un courant de sauvageries en live, d’émeutes sur scène et lyrisme psychothérapique qui se poursuivra jusqu’aux fleurs, posées sur la tombe de Morrison au Père-Lachaise en juillet 1971.
TIM BUCKLEY
Goodbye and Hello
On parle bien du père de Jeff. La réputation du fils a de loin dépassé celle du père, et pourtant, il faut réparer une injustice. Tim Buckley était brillant, très brillant. Comme son fils, il est mort très jeune, à 28 ans d’une overdose. Mais il a eu le temps de pondre quelques albums magnifiques. Sa musique est inclassable, il avait la liberté de partir musicalement dans plusieurs directions. Son second album, Goodbye and Hello est un ovni fascinant où se mélangent folk, jazz, rythmiques improbables, paroles qui tuent, chant épique, comme pour le titre Morning Glory, mais aussi, une chanson dédiée à son petit, Jeff, qu’il avait un peu délaissé : I never asked to be a mountain. Chanson à laquelle le fils répondra amèrement, vingt-sept ans après, avec la bouleversante Dream Brother.
THE VELVET UNDERGROUND
The Velvet Underground and Nico
Est-ce l’album qu’il faut retenir de toute cette liste ? Le plus important, le plus novateur de tous les temps ? La question mérite d’être posée. Il y a ici des éléments assez uniques. L’album ne serait sans doute jamais sorti s’il n’était pas produit (concrètement parrainé) par Andy Warhol. Alors que les autres groupes de leur génération traitaient de sujets assez légers, de voitures, de filles, le Velvet Underground est le premier groupe qui mériterait un carré rose en bas de pochette. Lou Reed, diplômé de littérature, poète de la bohème urbaine new-yorkaise, John Cale, violoniste, disciple de John Cage, Sterling Morrison, un plouc texan à la guitare en plein New York hyper branché et Moe Tucker, une femme à la batterie qui jouait debout ! À cela, Andy Warhol avait imposé une actrice allemande, Nico, muse et icône des années 60. Les thèmes ? Du cru : Sunday Morning ou la gueule de bois du dimanche matin, Venus In Furs, une adaptation en musique du roman masochiste du même nom de Sacher Masoch, Wainting For The Man, le dealer au coin de Lexington, ou encore la seringue qui transperce les veines dans Heroin. Personne n’avait osé, d’une manière aussi crue, ce descriptif d’un New York pervers à l’extrême. Osé, sensuel, subversif, le Banana album a totalement bouleversé l’histoire du rock.
THE BEATLES
Sergent Pepper Lonely Heart’s Club Band
L’album des premières :
Premier album avec une double pochette, premier album pop avec des chansons hors format pour l’époque, premier concept album de l’histoire et… premier album Pet Friendly (la dernière note est tellement dans les aiguës que seuls les chiens pourraient la détecter). Pour la première fois, un disque n’est pas une simple collection de chansons, mais un tout cohérent, conçu comme une œuvre d’art. Étrangement, on ne retrouve ici aucune chanson véritablement phare des Beatles, ou un Single efficace. Toute la force de l’album est dans sa cohérence. Disque emblématique de l’été de l’amour, il renseignait sur l’évolution des Beatles : Ils n’étaient plus un boys band en costard, des provinciaux avec une frange. Leurs fringues étaient plus cool, ils se sont mis à la méditation, ont commencé à lire des livres et surtout, ont découvert le LSD. Album phare et fondateur du Rock psychédélique, les Beatles ne seront plus les mêmes à partir de ce moment.
JEFFERSON AIRPLANE
Surréalistic Pillow
Groupe emblématique de la côte west américaine, le Jefferson Airplane a popularisé la scène de San Francisco. Dignes symboles de l’été de l’amour, le groupe est l’icône absolue de la génération hippie accro à la Marie Jeanne… Le Jefferson Airplane s’est vu propulsé au sommet grâce à deux chansons qui n’étaient pas composées par le groupe. C’est Grace Slick, qui, en intégrant le groupe, avait rapporté dans ses valises deux titres de sa composition qu’elle avait déjà enregistrés avec son précédent groupe The Great Society : Somebody To Love et White Rabbit. White Rabbit, un boléro inspiré d’Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll, drug song subversive et acide jusqu’à la moelle. L’Airplane a décollé, et avec, l’Acid Rock.