« Al Naïli li Dhouib… Al Naïli li Dhouib.
Dhouib… imeddha… lil Temime, sri3a !
Temchi lel Agrebi, Agrebi-Akid, temchi lil Agrebi, temchi lil Temime, yakdeeeeef !..
…el Temime, yakdeeeef...
Ou kourtou 3al 3ardha. »
Tout le monde connaît ce commentaire, devenu scansion, du regretté Nejib Khattab, prononcée le 6 juin 1978 alors qu’il commentait Tunisie-Pologne à Rosario (Argentine). Même ceux qui sont nés en 1990 l’ont entendue, tant elle est entrée dans la mémoire collective commune -et aussi parce qu’on nous l’a ressortie pour une pub d’opérateur téléphonique il y a à peine deux ans, ainsi que dans une autre séquence de réclame plus ancienne, ou dans un film datant de 1985, et, plus ou moins, à chaque fois que la sélection se qualifie pour la Coupe du Monde. Et désormais, grâce à Sami Tlili et son film-documentaire, complément rétrospectif idoine à « Un ballon et des rêves » de Dali Okby (sorti lui en 1980), cette séquence à la fois footballistique et radiophonique est quasiment sanctifiée.
C’est difficile à croire si on ne l’a pas vécu, mais il fut un temps où, en Tunisie, le Club Africain était l’équipe de référence, où le meneur de jeu de l’Espérance était sacré Ballon d’Or africain, où le Club Sfaxien fournissait la colonne vertébrale de la sélection et où l’Etoile du Sahel garantissait l’homogénéité de l’ensemble et fournissait le plus jeune sélectionneur de la Coupe du Monde. Cette sélection du ‘Mundial’ comportait d’ailleurs des joueurs des équipes précitées mais aussi du CAB, du Stade Tunisien, de La Marsa, d’El Makarem Mahdia, du COT, des Railways, de Kairouan, et même de Hammam-Lif si on compte Temime, alors à Jeddah. Ce brassage ne s'est jamais revu depuis... Un peu comme il y avait des cinémas disséminés dans tout le pays, il y avait des associations sportives dans tous les quartiers, et ce brassage en fut le fruit. On n’y était pas moins malpoli sur le terrain qu’aujourd’hui, mais on y était, sur le terrain, plutôt qu’à traîner ailleurs…
Quel rapport avec la culture et une radio s’y rattachant ? Déjà parce que le public lors de la qualification face à l’Egypte (11 décembre 1977, vers 16 h) improvisa un remix de Michel Polnareff (‘On ira tous en Argentine’) qui aurait sa place dans French Kiss sur votre radio préférée -faudra qu’on en parle à Inès. Ensuite, parce qu’encore une fois Mohamed-Ali Okby réalisa un documentaire remarquable (‘Un Ballon et des rêves’), en immersion et tout et tout, narré par Fadhel Jaïbi et précurseur au possible. On y voit d’ailleurs Attouga et -surtout- Raouf Ben Aziza en soirée à la Tortue, emblématique lieu culturel hammamétois. Au passage, grâce à tout ça, son frère Lamine Ben Aziza eût une idylle avec l’actrice Leila Hammada, preuve que la culture est partout, surtout sa première syllabe. Enfin, parce que le documentaire de Sami Tlili illustre avec talent la thèse (présentée à la fin des années 1980 à Tunis I) que le grand parcours de notre sélection recula l’échéance du jeudi noir du 26 janvier 1978. Ce même lien politique permit d’ailleurs aux argentins de respirer un peu sous leur régime nazi de l’époque, et on leur installa même la télé-couleur. Preuve que parfois, la pression diminue autrement qu’en bars.
Un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître
Quarante ans après, être nostalgique de la Tunisie en Argentine peut paraître étonnant, mais s’explique tout de même. Cette équipe avait une sacrée allure et jouait en un temps et en Adidas. Elle méritait de battre la Pologne, troisième de l’édition précédente (ou au moins le match nul), voire l’Allemagne championne du monde (il y avait clairement pénalty sur Agrebi!). Pour aller en phase finale, seule équipe africaine à l’époque, la Tunisie élimina les quatre meilleures équipes de la CAN précédente plus l’Algérie, Attouga mettant de plus un terme à la carrière internationale d’Ahmed Faras (possiblement le meilleur joueur marocain de l’histoire) en lui annonçant qu’il allait arrêter son penalty. Et signa le premier succès africain de tous les temps. Et ça non plus, on ne l’a pas revu depuis, malgré quelques succès et satisfactions.
En parallèle à la grande histoire, il y a aussi les petites histoires. Néjib Ghommidh me racontait en rigolant qu’on n’avait jamais vu une sélection accompagnée par un gynécologue (!) ou un radiologue (le Dr. Radhi Hamza, qui l’embrasse après le deuxième but contre le Mexique). Plus intense, il y a Abdelmajid Chetali se contentant d’accrocher le drapeau dans le vestiaire à la mi-temps de ce même match face aux mexicains. Tiens d’ailleurs, on n’a jamais su qui était le gars qui avait le seul drapeau tunisien de tout le stade. Pour ceux qui l’ont vécue, c’est aussi une aventure qui leur fit voir leurs pères, oncles ou grands frères écraser une larme -et aussi tellement jurer qu’à la fin c’en était gênant. Et une époque où, avec un dinar, on pouvait aller au stade, s’acheter à manger, à boire, rentrer chez soi et avoir encore de la monnaie. Les sportifs étaient probablement moins athlètes, mais plus joueurs, et on rigolait sans doute plus sur le terrain -et dans les tribunes !
…et quand je revois l'action de Temime contre la Pologne, j’ai toujours l'espoir que le ballon va finir par rentrer et ça me fait toujours mal qu'il finisse 3al bar…