Pour continuer dans le lien fusionnel entre le sport et la musique, risquons-nous à présent sur un terrain extrêmement dangereux, fruit de leur popularité commune et de leur public (de masse) commun : celui des chansons consacrées au sport.
Certaines chansons sont devenues par après leur création des symboles liés au sport. C’était évoqué lors du billet précédent, le public de tel ou tel club, de telle ou telle discipline, s’en est réapproprié quelques-unes. D’autres ont été instrumentalisées, tels les indicatifs ou génériques d’émissions (j’ai ainsi rarement autant entendu Latifa Arfaoui qu’en attendant de pouvoir suivre le championnat de Tunisie), allant même parfois jusqu’à la saturation. Le simple fait que nous ne détestions pas Queen dont le ‘We are the champions’ a été infligé jusqu’à la nausée à chaque finale de compétition majeure, prouve la qualité du quatuor londonien et celle de ladite chanson. Car je ne pense pas que même les directives présidentielles de l’époque bourguibienne aient été aussi souvent diffusées que ce morceau. Je ne suis pas certain que si l’on avait utilisé Tina Turner et ‘Simply the best’ comme hymne de la victoire, la mamie du rock aurait résisté aussi bien que Freddie Mercury et ses amis -mais ce n’est là que pure supputation.
Mais il y a plus hasardeux -quoiqu’on y trouve parfois du sublime, musicalement parlant, côtoyant le pire- et plus dangereux pour le goût et l’ouïe des malheureux auditeurs : les chansons carrément consacrées au sport. Là encore, c’est évidemment le football qui s’impose comme ‘locomotive’ de ce train parfois fou. Déjà parce qu’honnêtement, une chanson consacrée à un champion de billard risque de ne pas vraiment rencontrer son public. Qu’ensuite, il y a eu une tentative de morceau techno totalement pourri consacrée à la course automobile et citant Michael Schumacher (l’œuvre consistait à balancer des rugissements de moteur en accélération, en répétant toutes les 48 secondes environ le nom du champion de Formule 1, tout en ‘habillant’ le tout d’un bruit ressemblant vaguement à ‘n-tss, n-tss, n-tss’) qui n’a heureusement pas fait date dans l’histoire de la musique. Et qu’enfin, le foot est la matière que je maîtrise le moins mal et comme c’est moi qui écris, je vais m’en tenir à ça.
Donc, bon nombre de chanteurs-auteurs-compositeurs-musiciens avouent aimer le football et le sport. Et certains ont donc osé y consacrer un morceau. Parfois, c’est musicalement à peine passable, mais extraordinaire en termes de succès. Ainsi, Jacques Monty explosant les ventes avec son ‘Allez les verts’ en 1976 malgré un titre très tarte et profitant du parcours européen de Saint-Étienne cette saison-là. Monty crut pouvoir rééditer l’exploit un an plus tard avec un improbable ‘Le petit Rocheteau’ (attaquant vedette du même club au charme concurrençant alors Claude François chez les adolescentes, NDLR), et, préfigurant le parcours à venir de l’AS Saint-Étienne qui fut relégué en division 2, se planta lamentablement. D’autres fois, c’est passé à la postérité, car très abouti, tel ‘Fio Maravilha’ de Jorge Ben, consacré à l’avant-centre à la denture particulière de Flamengo du tournant des années soixante-dix et dont la chanson décrit l’un de ses buts. C’est lorsqu’on la compare avec la chanson consacrée à Charlie George en 1970 (et qui semble dater de 1870…), ou avec le ‘Johnny Rep’ de Mickey 3D il y a une dizaine d’années que l’on mesure l’écart de qualité et de genre qu’il peut y avoir au sein du même répertoire thématique…
La musique orientale n’a pas été en reste, quoiqu’en moindre quantité. Je passe sur ‘Rock and goal’, qui fit le générique de l’une des nombreuses émissions de feu Mohamed Boughnim sur la Radio Télévision tunisienne (l’ancêtre de la Watanya actuelle), ovni musical venu du levant, ou le ‘Dima Sport’ qui succéda -avec quelques autres partitions dans l’intervalle- au générique du Dimanche Sports de cette même RTT. J’omets à dessein Ridha Nighaoui et tous ceux qui modulèrent une chanson à la gloire d’une équipe sur un chant venant des ‘galeries’, avec énumération des noms des joueurs du moment, mais retiens le plaisant (chacun ses goûts et ses madeleines de Proust…) ‘Fiha Goal’ chanté par Maha Sabry, épelant les différentes possibilités de phases de jeu, et qui indiqua des années durant le début des retransmissions radio du championnat. J’en oublie volontairement, car tout le monde n’a pas réussi l’exercice. La preuve quelques années plus tard (au début des années 80 donc) avec le titre ‘Il n’y aura pas de match retour’ -un programme en soi- au cours duquel son interprète Rémy Tarrier établit une métaphore entre sa relation amoureuse et un match de foot. La chanson ne vaut que par le kitsch qu’elle impose aujourd’hui. La fille était « belle comme un coup franc de Platini, qui va dans la lucarne ». Le disque lui s’est affalé comme un attaquant tunisien dans la surface de réparation, sans obtenir de penalty…
Comme réaliser une chanson entière sur un match ou une action n’est pas l’exercice le plus facile, la majorité des titres consacrés au ballon rond dépeignent surtout le fait social et la passion qui l’entourent -ou son aversion. Ainsi, Rita Pavone se plaint dans ‘La partita di pallone’ d’être délaissée chaque dimanche par son cher et tendre au profit du match -étonnamment, elle aussi fut présentée en gala par le Club Africain au profit de son budget. Renaud lui raconte le spleen éthylique de son samedi soir à la grande époque de ‘Téléfoot’, les post-punk-new-wave (ciblé, comme genre musical, n’est-ce pas ?) de Half Man Half Biscuit chantent leur amour du Subbuteo (parfois appelé le football de table) dans ‘All I want for Christmas is a Dukla Prague away kit’, et il y en a tellement d’autres qu’une liste exhaustive serait impossible… Mais une liste (non exhaustive encore une fois) reprendrait, en plus des précités : ‘The Others’, Antoine, Johnny (comme quoi ces deux se retrouvent parfois), Lord Kitchener (pas le patron de l’armée britannique, le chanteur de calypso trinidéen), les Kinks, Balavoine, Manu Chao (et aussi la Mano Negra, forcément), Doc Gynéco, Miossec, Iggy Pop (si, si !), Joe Strummer et je m’en tiens à ça parce que ça devrait suffire à vous convaincre que tous les goûts devraient s’y retrouver.
En fait, il en va des chansons qui lui sont consacrées comme du football (et du sport) : ce sont le talent et l’implication des interprètes comme ceux des athlètes, qui les inscrivent dans la durée et dans la mémoire collective. Le souci, c’est que certains ont cru avoir les deux, mais ce pan souvent horrible de l’histoire de la musique sera pour une chronique suivante…